« Dom Juan ou le Festin
de pierre »… une « tartufferie »
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups.com
Entre le palais présidentiel et les Champs-Élysées, tout proches des vénérables maisons Lenôtre et Ladurée, une autre belle vitrine, tout en velours rouge et en dorures : le Théâtre Marigny. Et dans la belle vitrine, une grosse pièce (montée). Le « Dom Juan », de Molière, mis en scène par Philippe Torreton, avec Jean-Paul Farré. Ça fait saliver, mais quand le festin tourne à la bonne grosse tarte à la crème, on reste sur sa faim.
Ça commence par un hors-d’œuvre : des courtisans (cachés dans les enceintes), des membres de la compagnie du Saint-Sacrement peut-être, discourent sur ce gêneur de Molière, un contemporain qui dérange, un pendard auquel on réserve les pires sorts. On l’aura compris, Dom Juan est une pièce subversive.
À cette explication de texte franchement désobligeante pour la perspicacité du spectateur, répond l’entrée fort réussie de Jean-Paul Farré dans le rôle de Sganarelle. Mais, après quelques minutes de légèreté, déboule une grosse meringue en la personne de Philippe Torreton, fourré dans un costume bien ridicule. Des turbans, des rubans, des breloques et fanfreluches ; une chantilly capillaire le coiffe. Entrée d’Elvire. Une croix plus grosse qu’elle pend autour de son cou. On l’aura compris, elle, c’est la religieuse, une religieuse trompée par une meringue.
L’acte deux révèle deux comédiens talentueux (Nicolas Chupin et Florence Muller), paysans autochtones au pays de Molière. Tout y est : comique de geste, comique de situation, de parole, d’accent… c’est léger et l’on rit, pour de bon. Le seul acte qui semble juste. L’enjôleur Dom Juan (il a laissé sa meringue au vestiaire), le facétieux Sganarelle, le bon sens paysan, l’on entend enfin Molière. Pas pour très longtemps. Acte trois : Dom Juan dans les bois, et, là encore, rien ne nous est épargné : une forêt dégringole des cintres, un pendu pend au milieu de la scène, un pauvre hère erre un moment et la voix du commandeur commande, caverneuse évidemment… ça tartine, on en peut plus.
Entracte. Un trou normand eût été bienvenu. Ça ne se fait pas dans les théâtres parisiens. Le festin continue. Deux actes encore, façon tarte à la crème : Dom Juan chez lui, décor de vanité. À nouveau, tout y est : crâne, globe, vieux papiers, verre de vin… On l’aura compris, Dom Juan, c’est l’allégorie de la vanité humaine. Acte dernier : commandeur caverneux, fumées, lumières infernales. C’est le jugement divin, l’enfer. La meringue paye ses méfaits, les carottes sont cuites, fini les mignardises.
Pouah ! Tout cela est fort démonstratif, le propos univoque, le décor vraiment hors de propos (bien que de qualité), les costumes souvent risibles. C’est dommage, car les comédiens sont talentueux. Font défaut une interprétation véritable du sens de la pièce et une direction d’acteur en conséquence. Dom Juan est plus qu’une pièce, c’est un mythe complexe. Il eût convenu non de dire : voilà ce qu’est Dom Juan (un pécheur, une allégorie de la vanité humaine, un décadent qui symbolise les failles du genre humain), mais voilà ce qu’il pourrait être, voilà ce qu’il a à nous dire sur ce que nous sommes, voilà son actualité. Car Dom Juan, c’est aussi, du moins me semble-t-il, un questionnement tragique des figures de l’identité, une interrogation sur ce qui manque à cet « épouseur du genre humain », une question qu’il convient d’entendre et non d’envoyer comme une tarte à la crème à la face du spectateur.
Ce festin de pierre est un peu comme ces longs repas de famille chez une vieille tante : on est assis trois heures durant, on se baffre, c’est trop lourd, et surtout on s’ennuie, car on ne nous laisse jamais la parole. C’est là, en somme, que le bât blesse : Torreton fait de la pièce de Molière une « comédie bourgeoise », où le « grand texte » nous donne la parole, lui nous la coupe par une mise en scène insipide.
Encore soufflé par la rencontre de la meringue et de la religieuse, je reste baba devant cette tartufferie (non la tartufferie du Tartuffe, mais celle du tartuffo). Espérons que cela ne devienne pas la spécialité de l’acteur Torreton que l’on sait être, par ailleurs, un chef. ¶
Cédric Enjalbert
Dom Juan ou le Festin de pierre, de Molière
Mise en scène : Philippe Torreton
Collaboration artistique : Jean-Luc Revol et Pierre Cassignard
Assistante à la mise en scène : Keti Irubetagoyena
Interprètes : Philippe Torreton, Jean-Paul Farré, Yann Burlot, Caroline Charléty, Nicolas Chupin, Sophie-Charlotte Husson, Stéphan Jones, Serge Maillat, Florence Muller, Maximilien Muller
Décors : Alain Chambon
Costumes : Bonnie Colin
Lumières : Bertrand Couderc
Son : Éric Neveu
Création coiffure et maquillage : Véronique Nguyen
Théâtre Marigny-Robert Hossein • avenue Marigny • 75008 Paris
Mº Champs-Élysées-Clémenceau
Renseignements : 01 53 96 70 00
Location : 08 92 22 23 33
À partir du 12 septembre 2007 à 20 h, mercredi à 19 h, dimanche à 16 h
Durée : 2 h 30
48 € | 38 € | 28 €