Médée, camelot
de son propre désespoir
Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups.com
Le Théâtre de Nanterre-Amandiers clôt sa saison avec son avant-dernière création, « Médée » de Sénèque, mise en scène par Zakariya Gouram dans la salle transformable. Scénographie abstraite, passerelles et éclairages à vue, pour cette autopsie de meurtres, dont celui de ses deux fils, par la légendaire magicienne. Sans tomber dans le syndrome « Chéri, j’ai tué les gosses », ce sombre drame ne suscite guère l’intérêt qu’il devrait.
Nous sommes à la fin de l’histoire entre Médée et Jason, dont elle a eu deux fils. La scène est à Corinthe, où Jason, tombé amoureux de la fille du roi, Créüse, répudie son ancienne compagne. Médée doit quitter la ville sans revoir ses enfants, qu’on lui cache tant on craint ses pouvoirs maléfiques. La magicienne feint alors de se résigner. Elle offre même à sa rivale, en gage de réconciliation, la robe de mariée. Cadeau, c’est le cas de le dire, empoisonné.
Si vous y allez, un bon conseil : surtout ne pas rater le début, car il est sidérant de beauté. Semblant flotter dans l’air, le corps à demi nu d’une femme, ou plutôt d’une géante tant elle semble proche, se contorsionne en proie à ses tourments. Une vision forte et juste de Médée, dont, pour l’instant, on ne voit que des morceaux. De longues jambes, une croupe, un bout d’épaule… Lentement une voix (et quelle voix !) s’élève, disant le chagrin, la jalousie, la rage de toutes les femmes bafouées. Si le spectacle s’arrêtait là, ce serait génial. Hélas…
« Médée »
Les Romains, on l’a souvent dit, sont les Américains de l’antiquité. Chaque fois qu’ils explorent un mythe grec, en voulant le simplifier ils le dénaturent. La traduction, très vivante, de Florence Dupont n’y peut rien : Sénèque est un éléphant dans le magasin de porcelaine de la pensée helléniste. Non, Médée n’est pas simplement un monstre, incarnant le côté sombre de la femme. Pas plus que le chœur antique n’est cette bonimenteuse (excellemment interprétée par Martine Vandeville, là n’est pas le problème), qui se substitue à l’action en la commentant. Ni le roi Créon (Étienne Fague, parfait là encore) ce technocrate qui a lu, sans doute en latin, un commentaire sur Euripide. Comment aurait-il su sinon, qu’il ne faut surtout pas que Médée s’approche des enfants ?
Je plaisante, mais le fait demeure : les comédiens sont fabuleux, la mise en scène fertile ; la sauce, elle, ne prend pas. Ce ne serait pas le grand Sénèque (à mon avis meilleur penseur que dramaturge, mais est-ce qu’on me demande quelque chose ?), on dirait simplement que sa pièce est mauvaise. Mais puisqu’ils l’ont choisie ! Disons alors que la fin sauve un peu le milieu bien plat. Encore une fois, Zakariya Gouram et Leila Adham ont fait du bon boulot, aidés du clown Julien Cottereau, dont on reconnaît la « patte » subtile, à la fin. Cette scène des meurtres, qu’on attend à vrai dire depuis un moment, plus qu’on ne la redoute, fourmille de leurs trouvailles. Marie Payen (Médée) y entre, transfigurée, traînant une valise contenant tous ses artifices. Elle les déballe, tel un automate, camelot de son propre désespoir, qu’elle raille autant qu’elle le remâche. « Douleur, cherche ton argile ! » s’exclame-t-elle, maculée de boue.
Cette artiste, fine et sensible, nous enchante depuis le Fait d’habiter Bagnolet de Vincent Delerm, où elle brûlait déjà les planches. Elle met dans cette Médée tout son charme et tout son talent, lesquels sont exceptionnels. Le problème, c’est qu’elle soliloque quasiment tout le temps, le Jason de Sénèque (Jauris Casanova, pourtant idéal) ne faisant pas le poids. On lui souhaite le même genre de rôle dans une dramaturgie moins désincarnée, celle d’Un tramway nommé Désir, par exemple. Quelle Blanche Dubois elle ferait ! En attendant, sa Médée intrigue, fait peur, époustoufle ; mais quant à toucher, c’est une autre histoire… Ne serait-ce que pour elle, il faut cependant aller aux Théâtre des Amandiers. Mais alors ne relisez pas Euripide avant, ni surtout notre vieux Corneille, qui écrivit en 1635 une Médée nettement plus fidèle et réellement géniale. ¶
Olivier Pansieri
Médée, de Sénèque
Compagnie Le Sacré Théâtre
Mise en scène : Zakariya Gouram
Dramaturgie : Leila Adham
Texte français : Florence Dupont
Avec : Marie Payen, Martine Vandeville, Laurent Bur, Jauris Casanova, Étienne Fague
Scénographie : Muriel Bétrancourt
Arts plastiques : Marta Trocewicz
Costumes : Karine Vintache
Lumières : Bruno Brinas
Travail du clown : Julien Cottereau
Théâtre Nanterre-Amandiers • 7, avenue Pablo-Picasso • 92000 Nanterre
Réservations : 01 46 14 70 00
Du 9 mai au 8 juin 2008 : à 20 h 30 du mardi au samedi, dimanche à 15 h 30, relâche le lundi
Durée : 1 h 30
24 € | 12 €