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25 juin 2008 3 25 /06 /juin /2008 16:52

Le raté magnifique

 

Serge est grand, sec, la mine apathique. Lorsqu’il rentre chez lui, il se meut mollement dans son appartement blanc, à moitié vide, où trônent, pour tout décor, ses petites inventions au milieu d’une table de ping-pong. Là, il allume la télévision, se sert un verre de vin rouge et commande une pizza. Seul. C’est ça la vie de Serge.

 

Mais, aujourd’hui, c’est dimanche. Et dimanche soir, Serge reçoit ses amis pour leur présenter un spectacle de sa composition. Derrière la baie vitrée, on aperçoit une dame à vélo. Sa première spectatrice. Dimanche prochain, ce sera un couple, puis une jeune femme, puis un homme et son chien, et tous ses amis réunis.


L’Effet de Serge, c’est du théâtre dans le théâtre. Les spectateurs de Serge sont les acteurs de la pièce à laquelle nous assistons. Et nous sommes les spectateurs de la vie monotone de Serge, incarné par Gaëtan Vourc’h, désarmant de naturel, qui force le réalisme de la vie quotidienne par la répétition de ses gestes, la lenteur de ses actions et la simplicité de ses activités. Il nous rappelle Tanguy, le personnage célibataire coincé et maniaque du film français éponyme d’Étienne Chatiliez.


Les dimanches s’enchaînent avec le même pathétique, et le seul indice du temps qui passe est le changement de chemise de Serge, annoncé dans l’introduction loufoque de l’acteur, où, déguisé en cosmonaute, il inspecte les moindres recoins de l’appartement. Car, chez Philippe Quesne, on commence une pièce par la fin de la pièce précédente, ici D’après nature, qui finissait donc en déguisement de cosmonaute, et on termine par le début de la suivante, en l’occurrence la Mélancolie des dragons, qui s’ouvre sur des acteurs invisibles et des perruques volantes.



Dans l’Effet de Serge, seul chez lui, le personnage joue au ping-pong, manipule des voitures et des avions téléguidés, danse dans le noir. Il reçoit aussi des visites, et avec les mêmes gestes exactement reproduits, il opère comme un rituel de l’accueil : prendre la veste, proposer à boire, faire asseoir, baisser le son de sa chaîne hi-fi, lire l’intitulé du show du jour, exécuter le spectacle et attendre silencieusement que son hôte parle et prenne congé rapidement.


Au-delà du portrait plein de cynisme d’un héros ordinaire, qui, même s’il porte à rire, sommeille en chacun de nous, Philippe Quesne expose toute la dimension tragique de la solitude, de l’ennui et de la routine. Avec toute l’ironie qui le caractérise, il dissèque le ridicule des conventions sociales, qui va de s’essuyer compulsivement les pieds sur un paillasson au changement maniaque de musique avant de passer à table, en passant par le traditionnel « vous voulez boire quelque chose ? ». Philippe Quesne porte un regard sans pitié sur le superficiel des relations humaines. C’est à se demander si les amis de Serge, si pressés de partir qu’ils manquent de s’étouffer avec leur pizza, l’apprécient vraiment, même s’ils font l’effort du déplacement. La question des motivations de Serge à se produire en spectacle peut également être posée : cherche-t-il seulement un public ou bien à se faire aimer ?


Lorsqu’il reçoit un tee-shirt en cadeau, on attend de lui et de ses invités un changement radical de comportement. On se contentera tout au mieux d’un couple qui ose se servir en chips, d’un ami qui fouine vers la chaîne hi-fi et d’une tentative de séduction avortée entre Serge et la seule protagoniste qui semble susciter son intérêt, dans une scène finale qui laisse le spectateur sur sa faim. Une tranche de vie d’une effrayante banalité, donc, à l’humour féroce et au réalisme grinçant, hors des conventions du théâtre traditionnel. Peut-être un peu trop absurde pour être vraiment convainquant. 


Julie Olagnol

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com


L’Effet de Serge, de Philippe Quesne

Conception, scénographie et mise en scène : Philippe Quesne

www.vivariumstudio.net

Avec : Gaëtan Vourc’h, Isabelle Angotti, Tristan Varlot, Pascal Villmen, Zinn Atmane, Rodolphe Auté, Hermès et des invités locaux

Buswerkstatt • quartier Eurobahnhof • Sarrebruck, Allemagne

Les 14 et 15 juin 2008 à 19 h 30

Durée : 1 h 15

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