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Par LES TROIS COUPS
Un doux duo
Par Claire Stavaux
Les Trois Coups.com
Un spectacle d’une heure sans proférer le moindre mot. Voilà de quoi nous laisser sceptiques… Est-ce encore du théâtre ? Assurément, quand le chorégraphe et metteur en scène Shu Okuno crée une composition originale, qui, entremêlant danse et musique, échappe à la notion de genre.
L’histoire est simple. Une jeune violoniste répète dans l’intimité de son humble cabane et rêve d’amour. Le jour du concert approche et le violon grince toujours. Elle se souvient des mots de sa grand-mère : « Il faut sourire, il faut que tu sois gaie », encouragements bien vite rattrapés par les réprimandes de son professeur : « Non, non, non, Cécile ! ».
À l’image de ces voix, tapi dans l’ombre de la chaise, apparaît sous forme humaine un « esprit », qui, tantôt la dérange et la distrait, tantôt l’encourage et la réconforte. Un fantôme ? C’est l’histoire d’une rencontre entre une jeune fille et un vieil homme, qui se dévoile peu à peu et nous fait comprendre le sens de son étrange présence. Mais, cette histoire, ils ne la racontent pas, ils l’évoquent, nous la font ressentir, la donnent à voir et nous font prêter l’oreille.
La beauté de ce spectacle repose sur une approche originale de la musique sous toutes ses formes. Les deux interprètes japonais se distinguent par leur créativité, fruit de la collaboration du violon d’Utaco et de la musique du compositeur coréen Yonguk Cho. Affranchis des dialogues, ils renouvellent la forme traditionnelle du spectacle musical, avec une grande intelligence de la représentation corporelle et visuelle des bruits.
Ainsi, dans une gestuelle délicate qui mime les petits bruits d’intérieur tels que le goutte-à-goutte agaçant du robinet ou le grincement d’une fenêtre, l’esprit invisible, tour à tour jongleur, mime, danseur et acrobate, vient déranger les répétitions de la jeune violoniste, qui tente de le maîtriser. Quand il résiste et se dérobe, le violon grince et échappe au contrôle de la jeune fille éberluée. Une performance musicale un peu maigre pour une virtuose, me direz-vous ? C’est que son talent se révèle au contact de cette apparition, qui oscille entre malin génie et souffle d’inspiration.
À la manière de « haïkaï » chorégraphiés, ce spectacle m’a conquise par sa succession de petits moments poétiques empreints de douceur et d’humour. Une fleur de carton qui grandit dans un pot, une plume qui tombe du ciel, une poésie de l’instant qui sublime la nature.
Enfin, le caractère symbolique du sujet et de sa théâtralisation visuelle se prête à de nombreuses évocations. Les pures interprétations oniriques, où tout ne serait que songe, sont permises, reflétant les aspirations d’une jeune fille qui rêve de devenir virtuose. En s’identifiant aux craquements de chaise, à la fatigue, à un roman d’amour, l’« esprit » est également une jolie représentation poétique de la distraction, de la déconcentration qui la happe et la détourne de l’étude. Il est aussi souvenir individuel et mémoire historique, à la gloire des artistes tués au chant de bataille. Un spectacle qui invite à la rêverie et laisse libre cours à l’imaginaire. ¶
Claire Stavaux
La Violoniste et l’Esprit de la chaise, de Shu Okuno
Compagnie Ôbungessha • 58, rue du Rendez-Vous • 75012 Paris
06 12 33 78 70
Mise en scène : Shu Okuno
Avec : Utaco Ichise, Shu Okuno
Musique : Yonguk Cho
Scénographie : Fumika Dubois
Photographie : Ko Oda
Lumières : Kaoru Onda
Film : Cie Alet Yu
Dans le film : Marie-Claude Théveny (maîtresse), Dimitri Rekatchevski (soldat), Yuka Fukushima (fille), Yuma Cordélia Ebe (Cécile)
Graphique : Kôs-CréA
Théâtre Golovine • 1 bis, rue Sainte-Catherine • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 86 01 27
Du 10 juillet au 2 août 2008 à 16 h 30
Durée : 1 heure
15 € | 10 € | 5 €
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