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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

« Ricercar », de François Tanguy (critique), Odéon-Ateliers Berthier à Paris

Fugue baroque


Par Estelle Gapp

Les Trois Coups.com


Aux Ateliers Berthier, François Tanguy et le Théâtre du Radeau font tanguer les conventions. À la fois lanterne magique et théâtre de marionnettes, « Ricercar » est une œuvre magistrale, qui inaugure un langage visuel universel. Une forme originale, radicale, et dérangeante, qui renverse les perspectives, mais qui laisse parfois perplexe.

Sur le plateau, encombré de tables et de chaises, saturé d’écrans et de cadres métalliques – qui nous barrent littéralement la vue –, apparaissent deux femmes en costume d’époque, comme des poupées, empourprées dans leur robe de cour, le visage poudré. Assises sur deux chaises, posées en hauteur sur une table, elles semblent aux premières loges d’un théâtre. À l’avant-scène, trois hommes en costume de ville et chapeau de feutre, accoudés aux tables, leur font face, tournant le dos au public. Le spectacle peut commencer.

Mais, dans ce dispositif ingénieux, multipliant les perspectives (horizontales, verticales, diagonales), on ne sait plus très bien qui sont les acteurs et qui sont les spectateurs, qui sont ceux qui voient et ceux qui sont regardés. Comme dans un jeu de miroirs qui se reflètent à l’infini, le regard se perd dans les abîmes de la spécularité. Ici et là, des lumières, diffuses, jouent du trompe-l’œil : posé sur une table, un vidéoprojecteur indique, comme une fausse piste, le sens d’une projection qui n’aura pas lieu. Car rien ne se passe là où on l’attend. Spectatrices d’un spectacle qui ne se produira pas, les deux femmes deviennent, soudain, à la lumière du vidéoprojecteur, les actrices d’un théâtre d’ombres chinoises, dont les hommes sont les spectateurs. Entre la scène et le public, les perspectives s’inversent et se renversent. À leur tour, les hommes deviennent les acteurs d’un drôle de théâtre de marionnettes : dans le clair-obscur, ils ne sont plus que des silhouettes, tragi-comiques, traversant le plateau de manière mécanique, déplaçant sans cesse des écrans et autres panneaux de bois, dans un manège parfaitement orchestré.

Au rythme des musiques, classiques, lyriques ou foraines, qui se succèdent, les voix, diaphanes, des comédiens, se mélangent dans un même murmure, une même litanie, évoquant, comme dans un rite sacré, de nombreux auteurs : Lucrèce, François Villon, Dante, Goethe, Leopardi, Büchner, Mandelstam, Kafka, Pirandello, Fellini, Ezra Pound, Robert Walser… À travers cet étrange ballet de corps et de chœurs, on devine les ruines d’une vieille Europe, traversées par les fantômes de son histoire : des courtisanes échappées de vieilles monarchies, des miliciens rescapés de guerres contemporaines. Et tandis que les langues se juxtaposent (italien, allemand, français, néerlandais), on comprend que cette polyphonie cède la place à un nouveau langage, visuel, universel. Sur scène, tout se passe comme si, dans les décombres de la société du spectacle, l’image s’était définitivement substituée au sens. Parfois, on saisit la signification d’un tableau : ici, un enterrement à la Courbet, là, un personnage à la Charlot en train d’escalader un mur. Mais l’ensemble de la proposition laisse perplexe : de la peinture au cinéma, du théâtre au cirque, que retenir de ce carnaval baroque, où les acteurs défilent comme autant de figures de la représentation ?

Véritable force de création, Ricercar explore les formes les plus inattendues du jeu, et s’amuse à brouiller les codes de la théâtralité. On admire la performance des comédiens, et l’inventivité de la mise en scène. Mais, à la fois fasciné et ébloui par les multiples facettes de cette lanterne magique, le spectateur tente de comprendre : est-ce une (énième) critique de la société du spectacle ? ou une (énième) réflexion sur les origines, antiques, du théâtre (étymologiquement, « le lieu d’où l’on voit ») ? Est-ce une tentative de la vieille Europe pour sortir de l’impasse de la fin de l’Histoire, par la création d’une langue visuelle universelle ? La démesure baroque de la pièce est aussi une quête infinie : celle du renouvellement des formes artistiques. Si, en musique, le « ricercar » est un motif précurseur de la « fugue », ce spectacle de François Tanguy ouvre une nouvelle « ligne de fuite » : hors des chemins balisés, hors des perspectives tracées, il nous invite à prendre la tangente, et à nous réinventer, en revisitant notre imaginaire collectif. 

Estelle Gapp


Ricercar, de François Tanguy

Théâtre du Radeau • La Fonderie • 2, rue de la Fonderie • 72000 Le Mans

02 43 24 93 60

www.lafonderie.fr

Mise en scène, scénographie et lumière : François Tanguy

Avec : Frode Bjonrnstad, Laurence Chable, Fosco Corliano, Claudie Douet, Katia Grange, Jean Rochereau, Boris Sirdey

Création sonore : François Tanguy et Marek Havlicek

Théâtre de l’Odéon • Ateliers Berthier • 8, boulevard Berthier • 75017 Paris

Réservations : 01 44 85 40 40

Du 23 septembre au 19 octobre 2008, du mardi au samedi à 20 heures, le dimanche à 15 heures, relâche le lundi

Durée : 1 h 20

26 € | 22 € | 15 € | 13 €

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