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Par Les Trois Coups
Quand l’Histoire rencontre le théâtre
La grande salle du Théâtre du Rond-Point était comble pour applaudir un des évènements phares de cette rentrée théâtrale : Jacques Attali mis en scène par Daniel Mesguich. Et avec un enjeu de taille : porter à la scène les paroles que les dignitaires nazis auraient échangées dans le secret après la nuit de cristal, et en vue de l’élimination massive des juifs. Malgré la valeur du texte, malgré la nécessité de l’entendre, malgré la volonté affirmée par Mesguich d’en faire un spectacle « à part », je demeure taraudée par une seule question : est-ce bien là du théâtre ?
À l’origine de ce spectacle, la nuit de cristal. Cet épisode historique fut essentiel dans l’avancée du nazisme. Le peuple allemand, autorisé à exprimer sa rage envers les juifs, a commis en une nuit de nombreuses exactions, s’attaquant aux vitrines des boutiques juives, pillant, volant et saccageant les commerces. Le texte d’Attali, fondé sur des archives retrouvées dernièrement, veut lever le voile sur une conférence ayant eu lieu le lendemain entre les responsables nazis.
Grand réalisme donc, en tout cas au début de ce spectacle : dans ce qui ressemble à une salle de conférence, des tables ornées de l’insigne nazi se dressent devant nous, autour desquelles les comédiens vont s’asseoir. Les échanges commencent, réels, vivants, « naturels ». Les acteurs, notamment Xavier Gallais, impeccable en Goebbels, incarnent parfaitement ces nazis raides et agressifs. Mais, très vite, c’est comme si quelque chose se grippait dans cette machine réaliste.
« Du cristal à la fumée » | © Brigitte Enguérand
On commence par réaliser que c’est bel et bien leur texte que les comédiens ont en main. Texte qu’ils lisent par moments, sur lequel ils butent parfois, et qui ne les quitte pas. Puis ce sont des moments où la salle est assourdie par une musique dissonante, écho strident à l’horreur des mots échangés. Le désir de Daniel Mesguich apparaît ici : celui de ne pas rendre vraiment le réel de cet épisode. Comme pris dans cette impuissance à dire l’horreur, son théâtre se tient à distance de ce qui pourrait se jouer réellement, et choisit plutôt de « faire un signe vers la réalité ». En ce sens, il amorce une réflexion passionnante sur les limites du théâtre face à ce genre de texte.
Mais si la réflexion ouverte est certes intéressante, tout cela reste néanmoins académique, théorique. Et, du point de vue de ce qui se passe sur le plateau, on est malheureusement déçu. La mise en scène figée tend vers la photo historique. Seule la présence du passant, qui parcoure la scène sans que jamais les nazis ne le remarquent, vient donner un peu de texture, de chair, de vie à l’ensemble. Pour le reste, le temps s’allonge, se dilue dans une loghorrée nazie qui finit par couler tel un fleuve.
Bien entendu, le devoir de mémoire impose de ne pas se laisser caresser par la banalité de l’horreur, et de demeurer vigilant quand les atrocités sont masquées par la minutie des mots. Mais, malheureusement, le mot ici devient indigeste, hermétique, tout comme les personnages, et, au final, le propos. Mesguich a souhaité ne pas rendre réaliste cette scène historique, sans la théâtraliser pour autant, se contentant de la perspective du souvenir, et de la mémoire collective. Mais cela semble malheureusement insuffisant pour donner vraiment corps, densité et sens à son spectacle, qui erre péniblement dans un non-genre. ¶
Élise Noiraud
Les Trois Coups
Du cristal à la fumée, de Jacques Attali
Coproduction Compagnie Miroir et Métaphore-Théâtre du Rond-Point
Mise en scène : Daniel Mesguich
Assistante à la mise en scène : Sarah Gabrielle
Avec : Féodor Atkine, Jean-Damien Barbin, Matthieu Cruciani, Frédéric Cuif, Sébastien Desjours, Bernard-Pierre Donnadieu, Florent Ferrier, Xavier Gallais, Arnaud Maillard, Philippe Maymat, William Mesguich, Éric Verdin, Zbigniew Horoks
Décor : Xavier Holleberg
Costumes : Dominique Louis
Création son : Yann Galerne
Éclairages : Patrick Méeüs
Maquillage : Alexandra Velhinho
Régie plateau : Jean-Marc Joomun
Régie lumières : James Galonnier et Stéphane Serre
Régie son : Samuel Gutman
Habillage : Gwenaëlle Noal
Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin D.-Roosevelt • 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 22
Du 16 au 28 septembre 2008 à 20 h 30, dimanche à 15 heures, relâche les lundis, le 17 et le 21 septembre
Durée : 2 heures
33 € | 24 € | 16 € | 14 € | 10 €
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