Trop de concept tue le concept ?
Qu’est-ce que la « danse contemporaine » ? Tout et son contraire : à la fois les ballets de Nijinsky, les spectacles de Pina Bausch, de Merce Cunningham, de Raimund Hoghe… ou la dernière création de Jennifer Lacey et Nadia Lauro. « Les Assistantes » s’inscrit autant dans le registre de la danse que de la performance, en mêlant moments chorégraphiés et situations quotidiennes. Il s’agit d’explorer le rapport entre l’individu et la vie en communauté. Bien que le propos soit intéressant, rien d’extrêmement novateur vient étayer cette conceptualisation du quotidien. À moins que j’ai raté quelque chose d’essentiel…
Avec un spectacle comme celui-ci, tous les critères de la critique sont chamboulés. Les attentes du spectateur ne sont pas systématiquement satisfaites, et ceci dès le départ. Une des danseuses nous prévient : « Il va falloir combattre la tentation de partir pendant le spectacle. Ce n’est pas forcément mieux ailleurs ». Au moins, on est prévenu !
On s’attend à du mouvement, on a du texte. Lorsqu’elles parlent au public, les danseuses ne sont pas toujours très audibles. Erreur technique ? Non ! Pas dans un théâtre comme celui du Centre Pompidou, où tous les moyens techniques sont mis à la disposition des artistes. En outre, la scénographie se révèle très soignée. On peut donc en déduire que ne pas utiliser de micros relève du choix artistique. Peut-être que la voix, comme le corps, ne peut s’encombrer d’artifices inutiles. Peut-être que le sentiment de frustration du spectateur fait partie intégrante du spectacle. Peut-être… Mais, résultat : on n’entend pas tout, et c’est énervant.
Lorsqu’elles déclament toutes ensemble des textes insensés mais innocemment poétiques, les danseuses captivent davantage leur auditoire. Mais ne leur faudrait-il pas quelques leçons de jeu pour dire le texte avec un peu plus de naturel ? Sauf si ces maladresse de diction signifient quelque chose que je n’ai pas compris…
Parlons maintenant un peu de danse : peu de mouvements que l’on peut qualifier de « dansés » dans le sens traditionnel (traditionaliste ?) du terme. N’empêche que, de temps en temps, quelques fulgurances, des pirouettes venues de nulle part surgissent. Dans ces moments-là, la force de la danse s’empare d’un corps, le possède. Et aussi rapidement qu’il était venu, le mouvement se meurt pour laisser la place à la routine du quotidien.
Le spectacle n’est pas dénué d’humour et de finesse, mais il incite aussi le spectateur à l’ennui. Certaines personnes ne résistent pas et s’éclipsent avant la fin règlementaire. Pour ma part, je reste. J’accepte de m’ennuyer un peu, pourvu que quelques pépites de beauté soient dénichées entre deux bâillements. Et, heureusement, quelques moments valent l’attente. Les danseuses s’emparent d’instruments de musique dérisoires, et font de la musique futile et touchante. Certaines séquences a priori ennuyeuses deviennent des tableaux très vivants : les danseuses, très concentrées dans l’accomplissement d’une tâche insignifiante, donnent à leur action une dimension poétique.
Le spectacle se termine, et je suis contente d’être restée, mais pas complètement séduite. Je pars avec un sentiment d’incompréhension, comme si ce spectacle avait été conçu pour ceux qui savent prendre la « danse contemporaine » au second, voire au troisième ou quatrième degré. Je n’en suis pas encore là, mais ça viendra peut-être… ¶
Anne Losq
Les Trois Coups
Les Assistantes, de Jennifer Lacey et Nadia Lauro
Conception chorégraphique : Jennifer Lacey
Conception visuelle : Nadia Lauro
Conception musicale : Jonathan Bepler
Avec : Alice Chauchat, D.-D. Dorvillier, Audrey Gaisan, Jennifer Lacey, Barbara Manzetti, Sofia Neves
Lumières : Yannick Fouassier, Nadia Lauro
Photos : Jennifer Lacey, Laurent Philippe
Centre Pompidou • place Georges-Pompidou • 75004 Paris
Réservations : 01 44 78 12 33
Du 8 au 11 octobre 2008 à 20 h 30
14 € | 10 €