Mystique du sexe
Arnaud Devolontat et la compagnie Théâtre d’art nous viennent de Perpignan, après un passage par Avignon, cet été. Ils nous offrent avec « Impudique ? » une pièce dense, sur un cœur qui se livre à la logique de son désir, au risque de se perdre. Pièce étonnante et sublime tout à la fois.
Une femme, Léa, tente désespérément de sauver son couple en mal de désir en consentant à ce que son amant, Paul, accepte de vivre son attirance pour un autre homme, Thomas, qui se trouve être l’ami d’enfance de Léa. Cette histoire improbable aurait pu être le scénario d’une comédie de mœurs ou d’une quelconque pantalonnade. L’œuvre que nous en livre Arnaud Devolontat n’est rien de tout cela, mais une suite de tableaux à l’esthétique raffinée, aux gestes sûrs et graves, aux étreintes chorégraphiées.
Le choix de la nudité pour évoquer les jeux de l’amour et du désir, s’il n’a rien de racoleur pour une fois, n’a rien de graveleux non plus : ici, point de pornographie, mais un érotisme teinté de gravité et d’une beauté rare. L’affiche où se mêle trois corps nus risque de susciter les foudres des gardiens de vertu, qu’importe ! Cette pièce ne parle pas de sexe cru, mais du désir, en en pointant l’ambivalence. Jamais repu, oscillant entre excitation et dégoût, peut-il survivre à sa propre satisfaction ?
Cette pièce, donc, médite sur l’hiatus entre l’amour et le désir, sur fond d’une relation qui se meurt sans que les efforts de l’un ou l’autre des partenaires n’y puissent rien… Même l’offrande que fait Léa de celui qu’elle aime à l’ami qui n’a cessé d’être à ses côtés, comme deux faces d’un homme qu’elle veut réunir, la fait plonger jusqu’au bord de son abîme, jusqu’aux portes de l’enfer…
« Impudique ? » | © Florence Moëgling
Le propos de la pièce est d’entrer dans les replis de l’inconscient de Léa, comme l’expriment les courbes du décor réalisé par Caroline Bourdet et Karine Secrétant et le voile séparant en fond de scène un en deçà conscient et un au-delà inconscient. Dialogue intime souligné par celui qu’entretient Léa avec son double inconscient.
Les quatre comédiens sont admirables, sous la houlette de Julie Desmet : Neus Elfa Puell joue une Léa à la frêle assurance ; Pither Jardan, un Paul torturé et culpabilisé par un désir auquel il ne consent pas et dont il se croit souillé, alors qu’Adrian Conquet ne surjoue pas l’homosexualité de son personnage, mais en fait l’objet, au regard vide, morne, du désir d’un autre. Enfin, Marie-Pierre Nouveau « incarne » un inconscient à la blancheur hiératique, telle une korê impavide, sortie tout droit d’un chœur de tragédie grecque.
L’écriture des lumières, qui alterne le bleu froid et le rouge le plus doux, rythme les élans des êtres, entre rupture et communion, entre extimité et intimité.
Ainsi, Léa meurt d’attendre et de trop aimer. Elle est cette âme amoureuse et désirante, chantée par les mystiques ou décrite par les psychanalystes, où se mêlent éros et thanatos. Elle découvre combien aimer, c’est apprendre à mourir. Car l’amour dont il est ici question, tout autant charnel que spirituel, n’est ni total abandon, ni incertaine fusion… mais se consume jusqu’à l’oblation. Les choix scénographiques d’Arnaud Devolontat et Emmanuel Le Menelec le révèlent, quand Léa s’offre aux yeux du public les bras ouverts, telle une pietà dépouillée du corps de l’aimé perdu, sur fond de Sancta Maria. Cette pièce peut choquer quand elle mêle le sexuel au religieux et fait de l’orgasme la mesure de l’éternité… Elle ne fait que retrouver l’intuition de l’érotisme divin qui traverse toute la mystique. Et elle le fait sublimement. ¶
Olivier Pradel
Les Trois Coups
Impudique ?, d’Arnaud Devolontat
Compagnie Théâtre d’art • 474, rue Louis-Delage • 66000 Perpignan
06 60 69 95 43
Mise en scène : Arnaud Devolontat, Emmanuel Le Menelec
Direction d’acteurs : Julie Desmet
Avec : Neus Elfa Puell (Léa), Pither Jardan ou Cédric Sénatore (Paul), Adrian Conquet (Thomas), Marie-Pierre Nouveau (inconscient de Léa)
Décors : Caroline Bourdet, Karine Secrétant
Lumière : Arnaud Devolontat
Régie : Grégory Burgalat
Photos : © Florence Moëgling
Théâtre Clavel • 3, rue Clavel • 75019 Paris
Réservations : 01 42 38 22 58 ou www.fnac.com
Du 5 septembre au 27 décembre 2008 à 21 h 30, du jeudi au samedi, relâche du dimanche au mercredi
Durée : 1 heure
19 € | 13 €