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7 janvier 2009 3 07 /01 /janvier /2009 22:05

Une aventure déroutante


Par Lise Facchin

Les Trois Coups.com


Quand je vis la proposition d’invitation pour « Dieu comme patient », ma curiosité fut immédiatement piquée. Comment diable pouvait-on mettre en scène la poésie de Lautréamont ? Selon quel découpage ? Il fallait absolument que je voie ce spectacle pour en avoir le cœur net, et aussi pour tenir à l’œil ceux qui, dans leur folle outrecuidance, jouaient avec une poésie qui compte parmi les plus révoltées qui furent jamais portées à la publication. Alors ? me direz-vous. Eh bien, aussi fou que cela paraisse, je ne parviens pas à trancher. Car, si la violence et la poésie du texte sont totalement perdues malgré un découpage intéressant, le travail de mise en scène et de scénographie est une mine de trouvailles originales et astucieuses. Celles-ci sauvent heureusement le spectacle d’un intellectualisme d’apparat, pauvre et malhabile.

Jeune, j’aimais la poésie de sang. Celle qui, distillation brutale de la souffrance du poète, n’atteint le sublime que par un éclairage au néon, cru, froid et chirurgical. La brèche me fut ouverte par Baudelaire. Puis vint Bukowski, qui révolutionna totalement mes conceptions poétiques. Enfin, ce fut la rencontre avec l’écriture de Ducasse et son alter ego Maldoror. Ce personnage complexe et fantasmagorique est celui d’un homme qui, ayant vécu vertueusement pendant la première partie de sa vie, découvre un jour qu’il était né méchant. « Il cacha son caractère tant qu’il put, pendant un grand nombre d’années ; mais, à la fin, à cause de cette concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête ; jusqu’à ce que, ne pouvant plus supporter une pareille vie, il se jeta résolûment dans la carrière du mal… atmosphère douce ! »

Cette œuvre d’une folle poésie est vouée tout entière à « peindre les délices de la cruauté », sadisme qui fut la cause d’une reconnaissance tardive : composés en 1868 les Chants de Maldoror ne passèrent vraiment à la postérité que vers la fin de la décennie 1910, quand le groupe surréaliste érigea Lautréamont comme le précurseur absolu de leur révolte. La cruauté, donc. La cruauté pure, sans fard, sans fioritures hugoliennes, poète que Ducasse traitait de « femmelette ». La révolte aussi. Contre la suprême autorité : Dieu, mis à bas pour avoir donné vie à cette vermine qu’est l’homme et qui, autant que le Créateur, est la cible de ses attaques. D’où, on le comprend, le titre du spectacle.

Le concepteur du spectacle, Matthias Langhoff, a voulu donner au texte une dimension résolument moderne en superposant un film à la scène. Un film quasiment ininterrompu est projeté sur un écran translucide placé entre le spectateur et les planches où évoluent les comédiens. Ce stratagème permet parfois de très belles compositions scéniques, qui rendent à merveille la fusion déroutante entre fantasme et réel qui tisse le corps des Chants de Maldoror. Certains parallèles laissent d’ailleurs un goût assez amer, et je me souviens encore des images précédant cette citation des Poésies : « Il est temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous courbe si souverainement ». Je vous laisse imaginer… Le film tente également de remettre le texte de Ducasse dans le contexte de la Commune de Paris, insurrection populaire qui aboutit au massacre de plus de 30 000 Parisiens fédérés en 1871. Cette idée, bien qu’intéressante, est un peu litigieuse puisque Ducasse meurt une année avant la semaine sanglante qui en signe la fin.

Au-delà parfois d’un manque de considération pour le confort visuel du spectateur, un seul élément de cette vidéo m’a franchement déplu : cette abominable apparition de titres introduisant les différentes parties du spectacle… Non seulement la police de caractères et les couleurs étaient d’un goût plutôt douteux – évoquant la délicatesse fluo des forfaits de ski de la fin des années quatre-vingt –, mais en outre il est clair que, cassant le rythme du spectacle, ils n’apportaient strictement rien. C’était aux comédiens de faire office de liant entre le texte et la mise en scène pour souligner la cohérence des différents axes de lecture, qui, soit dit en passant, semblent être l’ouvrage laborieux d’un « fort en thème ».

Trêve de considérations littéraires et venons-en au spectacle si toutefois vous me le permettez (évidemment, ce n’est que pure courtoisie de forme, vous n’avez pas vraiment le choix : je ne fais que ce que je veux !). Sur la scène, un panel assez stupéfiant de décors et de toiles peintes figurant tour à tour le lieu d’un cimetière, d’une cuisine, d’un jardin public, d’un hospice ou encore d’un naufrage. Tout au long du spectacle, un mât brisé se tient sur la scène exerçant divers rôles, illustration au premier degré de la métaphore du monde selon Lautréamont : « ce vaisseau démâté ». Trois comédiens polymorphes portent la pièce, deux femmes et un homme.

C’est ici que, à mon sens, la pièce pèche et que la poésie perd de sa puissance. C’est un peu comme si le texte faisait peur aux comédiens, qui semblent pressés d’en lâcher les mots de peur qu’ils ne leur lacèrent les lèvres. Leur débit est terrifiant. Les conséquences ne sont pas négligeables. À celui qui ne connaît pas les Chants de Maldoror, il faudrait du temps pour pénétrer cette poésie dense et d’une grande richesse. Des pauses dans ces immenses tirades pleines de rage et de bile lui sont indispensables pour comprendre et ressentir. Or, de pauses, il n’en est point. Et l’on regrette ce ton monocorde de récitation, ponctué d’absurdes accents allemands (le dialogue avec le fossoyeur) et de bien trop de hurlements.

Ma déception réside dans ce que le travail des comédiens semble ne pas avoir cherché à incarner un seul de ces personnages créés pour porter le texte de Ducasse. On reste la plupart du temps dans un registre très superficiel, et jamais il n’est permis au spectateur de toucher du doigt la plus infime émotion. Je n’ai ressenti durant le spectacle que de l’intérêt, un stimulus intellectuel, donc. Pas d’émotion. Ni dégoût, ni gêne, ni compassion. Pas même ce léger frisson refoulé de volupté sadique que le lecteur honnête ne peut nier avoir ressenti au détour des pages de ce cruel recueil. Celui qui serait venu voir Dieu comme patient pour venir à la rencontre d’un texte aimé ou tout du moins connu sera sans le moindre doute aussi frustré que moi. En effet, qui pouvait s’attendre à une telle absence d’émotion d’un travail théâtral sur les Chants de Maldoror ?

En ce qui concerne la mise en scène, dont je salue l’ingéniosité, c’est une succession ininterrompue de surprises. Langhoff a montré que ses ressources étaient considérables et qu’il était pourvu d’une imagination très appréciable. Cependant, il me faut confesser qu’une certaine forme de lassitude m’est venue, à deux reprises. De celles qui remplacent l’agacement, émoussé par de trop nombreuses récurrences. Par exemple, Anne-Lise Heimburger, certes très joli brin de fille, dans le dialogue entre Maldoror et le fossoyeur, se met à bêcher la terre en costume d’Ève… Quelle (véritable) justification peut-on trouver à cette exhibition ? Comme cela fatigue ! On dirait que les metteurs en scène (ou les producteurs, qui sait ?) ne peuvent imaginer un bon spectacle sans nudité ni démonstration sexuelle (ma deuxième « lassitude » : André Wilms prenant sans ménagement la pauvre Anne-Lise Heimburger sur le mât… Sainte Subtilité, priez pour nous !). Le texte, bougres d’ânes, se suffisait à lui-même, il n’était nul besoin d’une illustration aussi triviale !

Malgré ces abominables crimes de lèse-poésie, je ne peux m’empêcher de trouver du courage dans l’entreprise et une véritable esthétique dans la scénographie. Le spectacle était beau, et c’est déjà beaucoup. 

Lise Facchin


Dieu comme patient. Ainsi parlait Isidore Ducasse. Les Chants du comte de Lautréamont, d’après les Chants de Maldoror d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont

Mise en scène : Matthias Langhoff

Film : Matthias Langhoff

Avec : Anne-Lise Heimburger, Frédérique Loliée, André Wilms

Décors : Matthias Langhoff

Peintures : Catherine Rankl, Matthieu Lemarié

Son : Brice Cannavo

Lumières : Frédéric Duplessier

Costumes : Catherine Rankl, Corinne Fischer

Production : compagnie Rupelpumpel

Coproduction : Théâtre de la Ville, Paris | M.C.2, Grenoble • Comédie de Caen-C.D.N. de Normandie

Théâtre des Abbesses • 31, rue des Abbesses • 75018 Paris

01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

Du 5 au 24 janvier 2009 à 20 h 30

Durée : 1 h 45

De 26 € à 13,50 €

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