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13 janvier 2009 2 13 /01 /janvier /2009 22:44

Le feu, la glace et l’abîme


Par Sarah Elghazi

Les Trois Coups.com


« Mary Stuart » a été écrit par le poète allemand Friedrich Schiller en 1800 – entre deux époques. Et, en effet, à chaque instant de ce texte magnifique, on ressent ce mélange harmonieux entre le classicisme historique shakespearien qui a formé Schiller et l’ère romantique dont il est l’un des fondateurs : « Mary Stuart » décrit dans un même mouvement la marche implacable de l’Histoire qui guide le destin des puissants, mais aussi des personnages ambivalents, flamboyants, jouets d’une fatalité qui les dépasse.

C’est également ce qu’on ressent dans la mise en scène de Stuart Seide au Théâtre du Nord, qu’il dirige depuis bientôt dix ans. Grand connaisseur du théâtre élisabéthain, traducteur, Seide s’est associé à Eberhard Spreng pour donner de Mary Stuart une nouvelle traduction épurée mais lyrique, où l’intrigue est recentrée sur ses fondamentaux narratifs, sans noyer le spectateur dans un contexte historique particulièrement complexe.

Mary Stuart, reine catholique d’Écosse, est déchue de son trône suite à divers complots politiques et à l’assassinat de son troisième mari, dans lequel elle aurait été impliquée. Elle demande asile dans l’Angleterre protestante d’Élizabeth. La souveraine craint Mary, qui par son ascendance pourrait prétendre au trône, et la fait immédiatement emprisonner, avant d’ordonner sa décapitation en 1587, vingt ans plus tard, sans l’avoir jamais vue, ni lui avoir rendu sa liberté. L’action de la pièce de Schiller est centrée sur l’enfermement de Mary, et évoque plus particulièrement le moment crucial où est prise la décision de la tuer.

C’est un crime qui se prépare, et le suspense est bien là. Pour rendre l’angoisse, l’obsession des deux femmes de manière plus évidente, Seide a choisi d’alterner les scènes de Mary avec celles d’Élizabeth, là où Schiller faisait se succéder cinq actes, alternativement centrés sur l’une des deux reines. Ainsi, chacune d’elles, campée dans sa solitude, est obnubilée par l’autre, le double, la rivale. On étouffe sur scène, dès les premiers échanges, dans une atmosphère de gravité dispensée en premier lieu par une scénographie très habile : selon le jeu des lumières et celui des comédiens, un plancher mobile, un mobilier sobre et sévère et de grands panneaux de bois noir à claire-voie peuvent devenir tour à tour le décor de la salle du Conseil de Londres, ou celui du cachot de Fotheringuay où croupissent Mary et sa suivante Kennedy.

« Mary Stuart » | © Pidz

Un même lieu pour le pouvoir et pour sa privation : la scène de Mary Stuart est celle de la dualité, où officient les deux faces d’une même médaille. Les deux portraits de femme qui portent le spectacle sont aussi opposés que possible : Élizabeth, « reine vierge », reine glaciale qui ne semble jamais se laisser aller à la moindre émotion. Elle n’est que stratégie, mais entourée, manipulée par une poignée de lords dont elle est la marionnette inconsciente… Au fond d’elle-même, elle est obsédée par le « mythe » Mary, son contraire absolu, cette femme au tempérament de feu, personnage romantique par excellence, qui a attisé la jalousie, le désir et la haine des hommes, et dont la vie n’a été qu’une succession dramatique d’erreurs de calcul. Toutes les deux, en tant que reines, en tant que femmes surtout, subissent un pouvoir contraint : celui de la force qui enferme et avilit, celui du sacre qui brime et empêche la réalisation des désirs. Toutes les deux sont entourées d’hommes qui s’approprient leur aura, et feront confiance à celui qui ne le mérite pas.

Comment supporter de me voir dans les yeux de cette autre, qui est pourtant la seule qui puisse me comprendre ? Élizabeth n’a pas d’égale au plus haut niveau de l’État. Mary, reine d’Écosse, ne peut être jugée que par ses pairs. Il est inévitable qu’elles finissent par se croiser, au cours d’une chasse organisée par leur amant commun, Leicester. Scène fantastique et fantasmée, que Schiller ajoute à l’Histoire, où le décor sévère est opportunément écarté pour laisser place à la Nature… une vaste arène de sable. Une arène comme un abîme qui ne sera pas franchi, où les deux reines se toisent, hiératiques d’abord, puis animales, déchaînant toute la fureur de leur humaine solitude. Mais le tourment ne sera pas absous. La liberté de l’une ne peut-elle donc s’accomplir qu’aux dépens de la mort de l’autre ?

La reine Élizabeth finit sa course vengeresse comme un pantin désarticulé, abandonné sur un trône, alors que retentissent autour d’elle les accents ironiques de God Save the Queen. Comédie ou tragédie ? Schiller et Seide nous laissent le choix de l’interprétation au cours d’un spectacle qui provoque rires, doutes, larmes. La distribution y est pour beaucoup : les comédiennes principales confirmées, Océane Mozas et Cécile Garcia-Fogel, magnifiques dans un jeu d’opposition et de complémentarité, dominent une troupe aux individualités fortes, parmi lesquelles se distinguent trois jeunes comédiens diplômés de l’E.P.S.A.D., l’école du Théâtre du Nord : Caroline Mounier, Jonathan Heckel et Sébastien Amblard. 

Sarah Elghazi


Mary Stuart, de Friedrich Schiller

Traduction et version scénique de Eberhard Spreng et Stuart Seide

Mise en scène : Stuart Seide

Avec : Sébastien Amblard, Pierre Barrat, Éric Castex, Bernard Ferreira, Cécile Garcia-Fogel, Jonathan Heckel, Caroline Mounier, Océane Mozas, Julien Roy, Stanislas Stanic, Vincent Winterhalter

Scénographie : Philippe Marioge

Costumes : Fabienne Varoutsikos

Lumières : Jean-Pascal Pracht

Son : Marco Bretonnière

Maquillage, perruques : Catherine Nicolas

Assistante à la mise en scène : Nora Granovsky

Théâtre du Nord • 4, place du Général-de-Gaulle • 59026 Lille

Réservations : 03 20 14 24 24

Création du 8 au 31 janvier 2009, du mardi au samedi à 20 heures, sauf les jeudis 15, 22, 29 janvier à 19 heures et les dimanches à 16 heures, relâche le lundi

Durée : 2 h 20

23 € | 20 € | 16 € | 10 € | 7 €

Théâtre Gérard-Philipe • 59, boulevard Jules-Guesde • 93207 Saint-Denis cedex

01 48 13 70 00

Du 28 septembre au 18 octobre 2009, du lundi au vendredi à 20 heures, samedi à 19 heures, dimanche à 16 heures, relâche le mardi et le mercredi, salle Roger-Blin

www.theatregerardphilipe.com

Durée : 2 h 15, sans entracte

Dimanche 11 octobre 2009, à l’issue de la représentation, rencontre avec les comédiens et le metteur en scène

Venir au Théâtre Gérard-Philipe

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