Salades mythologiques
Par Vincent Morch
Les Trois Coups.com
« Le Pas de l’homme », la nouvelle création de Farid Paya, dont l’objectif, très ambitieux, était de proposer une version contemporaine de la poésie épique, en mêlant le théâtre, le chant et la musique, m’a pour le moins laissé sceptique. La présence puissante des acteurs, le travail impressionnant sur les voix n’ont pas réussi à me convaincre vraiment de la supposée profondeur de la pièce.
C’est là, sans doute, l’une des failles de cette belle et ardue activité de critique : ancrée dans la subjectivité, elle en reflète les structures intellectuelles, relativement stables, et les fluctuations émotionnelles, qui le sont beaucoup moins. Pourquoi n’ai-je pas été réceptif à cette pièce ? Avais-je trop peu dormi la veille, le repas de midi était-il mal passé ou étais-je simplement de mauvaise humeur ? Du début à la fin, j’ai été sur l’arrête de l’ennui, à essayer de me raccrocher aux mots pour y trouver du sens – et, je l’avoue, de l’intérêt.
Mais qu’est-ce qui, plus objectivement, pouvait m’amener à ressentir cette distance ? Le texte, en premier lieu, sur lequel repose toute la pièce, puisque presque rien n’y est représenté (il s’agit pour l’essentiel d’une narration), n’est pas d’un accès aisé : se voulant poétique, il multiplie syntaxes complexes, adjectifs et descriptions parfois surnuméraires et tournures allusives. Cela n’aurait pas posé de problème si les spectateurs en avaient partagé l’arrière-fond culturel, s’ils avaient déjà connu la mythologie à laquelle il faisait référence, mais elle n’existe que par lui seul. En outre, du fait qu’elles sont en grande partie déclamées en chœur, les phrases sont parfois difficiles à saisir.
Au bout d’un certain temps, j’ai néanmoins réussi à comprendre qu’il s’agissait d’un groupe d’hommes et de femmes, les « Tueurs », dépêchés par les dieux pour récolter le cœur et la semence de toutes les espèces vivantes. Ils évoluent dans un monde atemporel, qui synthétise présent et passé, vide de toute présence humaine et déserté du divin (l’une renvoyant à l’autre). Parce que les trophées de l’homme sont du coup introuvables, il leur est impossible d’accomplir leur mission. Au cours de leurs interminables errances, ils finissent par acquérir des pouvoirs surnaturels et décident de créer un humain pour le sacrifier aussitôt (scène qui est à mon avis la plus réussie de la pièce).
« le Pas de l’homme » | © Agathe Poupeney | Photoscene.fr
Ils se révoltent ensuite contre les dieux qui les avaient missionnés. Une guerre éclate alors, qui les voit tous disparaître, dieux et hommes. La création s’en trouve régénérée, et une ère d’harmonie est ouverte. Bien. Mais après ? Patchwork de références polythéistes, de clichés new age et de réminiscences bibliques, j’ai trouvé ce propos singulièrement désincarné, comme s’il ne concernait pas mon humanité réelle. Cet imaginaire ne parlait pas à ma chair, ne la remuait pas pour lui arracher quelque chose d’essentiel, une lumière sur elle-même, sur sa vie de désir et de mort.
Les acteurs sont sérieux, impliqués, et parfois beaucoup plus : irradiants. Être debout sans bouger au milieu de la scène et la remplir tout entière peut être considéré comme l’un des sommets de leur art. Mais ils ne parviennent pas, malgré les mouvements erratiques imposés à leurs corps, à faire oublier une mise en scène statique et que j’ai trouvée finalement assez peu inventive (projection vidéo et jeux d’ombres, utilisation de masques, autre film à la fin).
Un très gros travail sur le souffle et la voix a été également effectué (variation des tons, bruitages, chants), mais parfois de manière un peu trop systématique (souffles indiquant une prise de parole, « prophéties » ou « inspirations » déformant régulièrement l’élocution des personnages). Si les parties chantées en technique lyrique sont d’un niveau honnête, elles souffrent elles aussi d’un manque d’articulation. Tout cela donne au final l’impression qu’on assiste à une série d’exercices confus, comme s’il y avait un ensemble de principes qu’il fallait absolument illustrer dans toutes leurs conséquences possibles.
Il se dégage pourtant quelque chose de cette pièce : une atmosphère sacrale, une ambiance qui correspond à l’idée des temps mythologiques qu’il est possible de se faire. Le désert, la violence, la paix, j’en ai ressenti des échos. Rêveries vagues, bien loin de l’ambition quasi métaphysique de la pièce : « Qui est l’homme ? Quelles traces laisse-t-il derrière lui ? ». C’est donc au bout du compte bien écrit, bien interprété, mais sur le fond avec peu de substance et sur la forme avec trop d’artifices. C’est dommage. ¶
Vincent Morch
Le Pas de l’homme, de Farid Paya
La Compagnie du Lierre
Texte, mise en scène, scénographie et masques : Farid Paya
Avec : Aloual, Antonia Bosco, Isabelle Chevallier, Patrice Gallet, Xavier-Valéry Gauthier, Philippe Klein, Lydie Marsan, Martine Midoux, David Weiss
Musique : Bill Mahder
Assistant à la mise en scène : Joseph Di Mora
Conseillers à la dramaturgie : Aloual, Jospeh Di Mora et Bill Mahder
Lumières, régie générale, décor et accessoires : Thierry Meulle, assisté de Sébastien T. Tadzio (dits « les Artiz’ans »)
Création des costumes : Évelyne Guillin
Costumier atelier : José Gomez
Stagiaires costumes : Maïté Montrieux et Awara Assere
Maquillages : Michèle Bernet
Théâtre du Lierre • 22, rue du Chevaleret • 75013 Paris
Réservations : 01 45 86 82 89
Métro ligne 14 et R.E.R. C Bibliothèque - François-Mitterrand
Du 4 mars au 5 avril 2009, mercredi samedi à 20 h 30 ; jeudi et vendredi à 19 h 30 (suivi d’un échange avec les artistes), dimanche à 15 heures
Durée : 2 h 10
20 € | 15 € | 10 €