Accusé K., levez-vous !
Par Nicolas Belaubre
Les Trois Coups.com
Adapter au théâtre une œuvre littéraire, c’est prendre le risque d’être jugé à travers le travail d’un autre et d’entendre tomber le couperet habituel : « J’ai préféré le livre ! ». Adapté par Didier Carette du roman inachevé de Kafka « le Procès » et mis en scène avec la complicité de Marie-Christine Colomb, « le Procès-cabaret K. » tente de concilier respect du texte et transposition historique.
L’injustice n’est pas le souci de l’accusé Joseph K. Bien pire que cela, il est confronté à l’absurde, l’inconcevable. La procédure en elle-même et pour elle-même. Le simulacre. Il serait bien plus facile pour lui d’être accusé d’un crime réel. Même d’être condamné pour un crime qu’il n’aurait pas commis, s’il le fallait ! Ça le soulagerait… Toute la réussite de Kafka tient en cela : une justice qui n’existe que par son apparence, qui juge pour se justifier plus que pour réparer des exactions ou protéger le corps social. Une justice qui connaît des coupables sans victimes. C’est tout un univers onirique et réaliste à la fois, où l’arbitraire absolu est la faille dans un système en apparence parfaitement huilé… Une justice qui se représente elle-même. Le texte semble prédisposé à l’adaptation théâtrale.
Cependant, adapter le Procès de Kafka, outre les problèmes techniques liés à la mise en scène, pose la question de la transposition historique. Le texte original puise son inspiration dans la société austro-hongroise de la fin du xixe siècle, excessivement bureaucrate, rigide et conformiste. Cette société qui a vu naître, avec Freud, la névrose, les complexes et la psychanalyse… Un siècle plus tard, qu’en est-il en France ? Le Procès-cabaret K. nous plonge dans la dérive télévisuelle d’une société de spectacle.
Tout d’abord, en introduisant un personnage tentaculaire qui vole la vedette à notre pauvre accusé, un présentateur-narrateur dont le discours vire parfois à l’explication de texte. Se faisant régulièrement le relais de la colère de K., il prive ce dernier d’une caractéristique essentielle de son original littéraire : l’insoumission fondée sur son bon droit. En effet, K. se révèle tout d’abord à nous comme un être timide et geignard. Il cherche plus à s’attirer la compassion du public par son air de chien battu qu’à démontrer l’absurde illégitimité de sa situation. Le présentateur s’en donne alors à cœur joie pour l’humilier, à l’image des candidats malheureux de certains jeux télévisés, et pour en faire la risée de son public, composé de rires en boîte.
« Le Procès-cabaret K. » | © Patrick Moll
Par ailleurs, ce même présentateur nous rappelle que le cabaret est le lieu privilégié de l’illusion, des faux-semblants ou du pastiche. C’est une métaphore naturelle du procès dont K. est la victime. Les scènes de comédie musicale, de play-back et de travestis se mêlent à des intermèdes punk rock aux guitares saturées ou à des ballades néoromantiques au piano. On a d’ailleurs toujours énormément de plaisir à découvrir des musiciens jouant en direct sur scène. La bande sonore semble hésiter, à mes oreilles, entre Walt Disney et Tim Burton. Néanmoins, malgré quelques longueurs, elle arrive assez bien à jouer avec la diversité du répertoire qu’elle nous propose.
En outre, on ne profite qu’assez rarement d’un jeu réellement enthousiasmant de la part des comédiens. Seulement trois personnages révèlent une véritable profondeur psychologique. Il y a Joseph K., qui nous fera attendre les derniers tableaux avant de prendre pleinement consistance. Le présentateur-narrateur, qui, malgré quelques coups de gueule, restera enfermé dans son stéréotype. Enfin, le truculent et cynique mais délicieux M. Huld, l’avocat opportuniste. Les autres personnages, eux, sont réduits à des représentations typologiques.
En définitive, le Procès-cabaret K. est un spectacle agréable, qui manque peut-être un peu de surprises et de prise de risques. Le groupe Ex-abrupto a su, par le passé, montrer un meilleur visage. Monsieur l’accusé, vous pouvez retourner à votre banc. Pour notre bon divertissement, vous serez acquitté, même si le public, lui, est resté assis. ¶
Nicolas Belaubre
Le Procès-cabaret K., de Didier Carette
et Marie-Christine Colomb
Groupe Ex-abrupto • 8, rue des Potiers • 31000 Toulouse
05 61 63 44 45 | 06 81 78 13 83
Adaptation : Didier Carette
Mise en scène : Didier Carette, Marie-Christine Colomb
avec la participation d’Hélène Poullin
Avec : Grégory Bourut, Didier Carette, Céline Cohen,
Marie-Christine Colomb, Régis Goudot, Jean-Luc Krauss, Céline Pique, Gilduin Tissier, Tischa Vujicic, avec la participation de Jean Castellat et Jean-Stanislas Michalski
Création musicale : Charlotte Castellat, Céline Cohen et Jean-Stanislas Michalski
Scénographie, décor : Jean Castellat et Charlotte Presseq
Costumes : Brigitte Tribouilloy
Création lumière : Alain Le Nouëne
Régie son : David Dillies
Coproduction : Caligari Production, groupe Ex-abrupto
Avec le soutien de : ministère de la Culture et de la Communication, D.R.A.C. Midi-Pyrénées, conseil régional Midi-Pyrénées, conseil général de la Haute-Garonne, ville de Toulouse
Théâtre Sorano • 35, allées Jules-Guesde • 31000 Toulouse
Réservations : 05 34 31 67 16
Du 17 mars au 3 avril 2009, les mardi, mercredi et jeudi à 20 heures, les vendredi et samedi à 21 heures, les dimanches à 16 heures, relâche le lundi
Durée : 1 h 20
19 € | 15 € | 9 €