L’agréable surprise
de la comédie sartrienne
Par Lise Facchin
Les Trois Coups.com
Si l’on connaît Jean-Paul Sartre, c’est souvent plus en sa qualité de philosophe et de militant politique que pour ses (immenses) talents de dramaturge. « Nekrassov » est une de ses rares comédies, sur le thème de l’escroquerie médiatique soumise aux jeux du pouvoir politique. La pièce est drôle, souvent fine et tissée de références aux aventures de l’écrivain dans la sphère publique. Une équipe de comédiens soudée par le plaisir de jouer ensemble porte ce spectacle qui, malgré certaines longueurs de mise en scène, parvient à relever le défi de la didactique, inhérent aux pièces de Sartre.
C’est un lieu commun : Sartre est rasoir. Et c’est vrai. Quiconque a lu l’Être et le Néant a connu l’ennui. Son théâtre pourtant est comparable à la barre de chocolat perdue au milieu d’une pâle viennoiserie : il est rare, fin, détonnant et trahit une certaine forme de gourmandise. La philosophie prend vie et abandonne à terre la mue de ses concepts ventripotents. Nekrassov, c’est l’histoire d’un homme, Georges de Valera, sur fond d’histoire politique (la lutte d’un gouvernement contre la montée en force du communisme et à qui les directeurs de journaux servent de valet par le jeu bien connu des actionnaires).
Dites… franchement… ça ne vous rappelle rien ? Allons, ne tombons pas dans le parallélisme contemporain, ça serait trop facile ! Georges de Valera, donc, est un brillant escroc, qui, par le jeu du hasard, se retrouve à usurper l’identité du ministre de l’Intérieur au Kremlin, Nikita Nekrassov, et vend des fausses informations à un journal moyennant un appartement au George-V, quelques smokings et sept mille francs. S’en suivent des péripéties rocambolesques, où s’entremêlent les intérêts individuels des personnages.
« Nekrassov » | © Lot
C’est une distribution « à masques », c’est-à-dire que les comédiens, pour la majorité, jouent plusieurs rôles. Le formidable dans ce genre de spectacle, à condition que la mécanique fonctionne, c’est qu’on entre dans la dimension vraiment ludique du théâtre, dans son côté jeu et non pas dans une recréation de la réalité. On peut aussi entrevoir l’étendue du talent des comédiens, qui, dans Nekrassov, éclate avec la jubilation d’un ballon empli de confetti.
La scénographie est assez complexe : deux boîtes gigantesques sont posées de chaque côté de la scène et s’ouvrent sur les deux décors principaux, la rédaction du journal et l’appartement d’un journaliste. Ce sont les comédiens qui viennent installer les décors entre les scènes, ce qui n’est pas gênant en soi. Mais le raffut produit un effet assez brechtien sur l’attention des spectateurs… Au centre, en fond de scène, une double porte battante. Les comédiens parviennent à suggérer tous les espaces de jeu qu’ils arpentent, et nul n’est besoin de recourir à des évocations visuelles quand le monde est porté par les êtres qui évoluent sur scène. Et quel plaisir que de s’en rappeler !
Le seul bémol concerne la musique, trop présente, un peu lourde et parfois sans justification. Le silence manque parfois cruellement, même si on explique pourtant cette utilité de la musique par le besoin indéniable de resituer le spectateur dans la pièce après les changements de décors un peu dispersants.
Le jeu des comédiens, leur humilité réelle, du premier rôle au plus petit, le texte cinglant de Sartre qui va jusqu’à l’autodérision la plus cynique, une mise en scène sympathique, font de ce spectacle un moment de théâtre très agréable. ¶
Lise Facchin
Nekrassov, de Jean-Paul Sartre
Mise en scène : Jean-Paul Tribout
Avec : Catherine Chevalier, Henri Courseaux, Emmanuel Dechartre, Jacques Fontanel, Marie-Christine Letort, Laurent Richard, Éric Verdin, Xavier Simonin
Costumes : Aurore Popineau
Décors et accessoires : Amélie Tribout
Création lumière : Philippe Lacombe
Salle Malesherbes • place du Château • 78600 Maisons-Laffitte
Réservations : 04 34 93 12 80
Le 21 mars 2009 à 21 h 45
Durée : 1 h 30
28,50 € | 11,50 €