« Froid » : l’uppercut !
Par Pascaline Chambon
Les Trois Coups.com
Des semaines à entendre tout et son contraire concernant une pièce tantôt qualifiée de vulgaire provocation anecdotique ou de représentation frôlant le génie. La curiosité me mène alors jusqu’au Théâtre Les Ateliers pour découvrir « Froid » et décoder l’opinion lyonnaise pour le moins hétéroclite. Un texte percutant au service d’une mise en scène d’une extrême justesse. La violence est ici et, pour une fois !, parfaitement justifiée : bouleversant !
Si la salle est bruyante, le rideau se lève dans un silence terrifiant. Du hard rock pour mise en bouche. Les premières secondes sont primordiales. Il ne faut pas aller voir Froid de Lars Norén, il faut y plonger, la tête la première, sans réfléchir une seconde. Je monte alors à bord d’un ascenseur émotionnel, où l’entrée fracassante des trois comédiens me questionne sur ma capacité à rester dans la salle tant l’atmosphère y est étouffante. Je reste pourtant, cramponnée à mon siège, en apnée totale.
Quand trois nationalistes suédois exposent leur vision choquante d’une société en perdition, l’identification aux personnages semble complexe. C’est pourtant à travers leurs regards que l’action se déroule. Dans une scénographie où la nature apparaît aseptisée, la violence du propos et des idéaux nazis brûle jusqu’à l’herbe grasse qui parsème la scène. L’irréalisme du décor sera le réceptacle juste d’une haine grandissante et compulsive nourrissant le dessein tragique d’une adolescence désœuvrée.
« Froid » | © David Anemian
La blancheur et le bois mort remplacent bientôt la chatoyante verdure de l’été suédois. L’angoisse irait-elle transformer jusqu’à notre vision du naturel ? Ainsi, on pourrait croire que le metteur en scène nous rappelle que « nous sommes au théâtre » en présentant un tableau plus irréel que vivant. La connexion avec le public semble volontairement rompue. Pourtant, quand l’un d’entre eux s’avance dans le noir du bord de scène, l’effroi nous prend à la gorge jusqu’à faire renaître nos peurs d’une idéologie qu’on croyait morte mais en fait bien vivante.
Servi par des comédiens prêts à tout et remarquables (mention spéciale à Matthieu Besnier [Ismaël], qui porte à lui seul l’ambiguïté et l’irrationalité d’une jeunesse en quête de vérité), le texte de Lars Norén ne nous est pas présenté mais jeté au visage, pour mieux faire réagir. La performance dramaturgique n’en est alors que plus percutante. L’innocente victime, ici masquée, déshumanisée, devient l’objet d’une exécution idéologique effroyable. On comprend presque cette horreur, sans l’excuser, tant le jeu, la mise en scène et le texte sont intelligents.
D’ailleurs, tous les ingrédients de ce spectacle, résolument inspirés par un même souffle, révèlent la volonté commune de mettre en exergue les maux d’une jeunesse qui ne peut s’affirmer que dans l’irréparable. Ainsi, le fait-divers est ici traité comme une allégorie nauséabonde de ce que l’on craint, sans souvent choisir d’en prendre conscience. Les lumières se rallument dans un soulagement salutaire, le malaise quitte la scène pour m’envahir à nouveau, il m’accompagne encore. Indubitablement : une immense réussite. ¶
Pascaline Chambon
Froid, de Lars Norén
Traduction : Katrin Ahlgren, Amélie Wending
Production Théâtre Les Ateliers
Mise en scène : Simon Delétang
Avec : Mathieu Besnier, François Godart, Thomas Poulard, François Rabette
Scénographie : Daniel Fayet
Lumières : Thomas Chazalon
Son : Nicolas Lespagnol-Rizzi
Régie générale : Nicolas Henault
Costumes : Odrée Chaminade, Julie Lascoumes
Masques : Martha Romero
Coiffure : Margot Blache
Réalisation des décors : Anne de Crécy, Gérard Rongier, Laurent Carcedo
Régisseur lumière : Christophe Sauvet
Régisseur son : Richard Fontaine
Théâtre Les Ateliers • 5, rue du Petit-David • 69002 Lyon
Réservations : 04 78 37 46 30
Du 12 mars au 3 avril 2009, relâche le lundi
20 € | 14 € | 10 €