Le répertoire dans son plus noble dénuement
Aujourd’hui, monter une pièce de Molière semble toujours un peu comme un retour à l’essence même du théâtre. Aisé, me direz-vous ? Pas si simple, pourtant. Car, si l’œuvre de Jean-Baptiste Poquelin transporte avec elle le talent de son créateur, elle n’en reste pas moins la plus jouée. Difficile alors de proposer aux yeux du public un spectacle nouveau et surprenant. C’est pourtant ce que Christian Schiaretti et son Théâtre national populaire nous offrent, en toute humilité.
La soirée que nous nous apprêtons à vivre, ce vendredi, dans notre fauteuil rouge s’annonce chargée. Chargée, oui, car au programme ce ne sont pas moins de trois pièces de Molière qui sont annoncées. En l’occurrence, ce soir-ci, il s’agit de Sganarelle ou le Cocu imaginaire, l’École des maris et les Précieuses ridicules. Cela pourrait avoir de quoi nous interroger sur notre capacité d’attention, mais la simple vue du décor ne nous laisse pas le temps de donner prise à cette crainte futile. En effet, un théâtre de tréteau dressé sur la scène attire nos yeux. À la fois imposant et aéré, il semble attendre avec nous les comédiens. Ainsi, déjà même avant leur arrivée, la scène est vivante et ne demande qu’à être remplie. Remplie de jeux, d’émotions et d’énergie. En tout cas, c’est ce qu’elle nous laisse espérer.
Voici donc l’ensemble des comédiens qui entrent et se répartissent sur le plateau. Bon nombre d’entre eux prennent place à l’arrière du décor, délimitant ainsi une coulisse à vue, tandis que trois d’entre eux viennent se mettre en lumière. Ainsi, à l’instar du propos de Molière, un théâtre dans le théâtre se révèle à nos yeux attentifs. Toutes les conditions sont bel et bien réunies pour permettre aux vers virtuoses d’éclore avec finesse dans les méandres de notre esprit. Pauvre esprit contemporain si peu encore accoutumé à de telles saveurs littéraires !
« Sganarelle ou le Cocu imaginaire | © Grégory Brandel
Et c’est par cette délicate précaution de mise en scène qu’il nous est donc donné à entendre la mésentente de Gorgibus avec sa fille Célie. Une mise en scène qui, tout au long de la soirée, pourrait presque paraître absente, mais qui, sans aucune once de prétention, sait simplement et justement se faire oublier. Pour mieux servir, encore, un texte, un auteur. Telle est la direction qui semble être choisie et humblement parachevée. C’est ainsi que costumes « xviie siècle vaporeux », lumières et accessoires distillés avec parcimonie, pantomimes légères et gestes méticuleusement choisis, portes et fenêtres claquant à la dérobée, animent avec vigueur et effronterie notre tréteau de bois.
Par ailleurs, il serait particulièrement dommage de ne pas souligner l’intelligent regroupement de ces trois farces de Molière, dont les propos se mêlent et s’entrecroisent avec résonance autour du « règne de l’apparence ». De même, l’attention portée à l’œuvre naissante de l’écrivain, parti pris intéressant et discrètement osé, est l’occasion d’une véritable (re)découverte du dramaturge français le plus fameux. Enfin, n’oublions pas cette très belle distribution, qui, dans une même ferveur et dévotion, s’applique à servir de tout son savoir-faire artistique un des plus beaux textes français.
Ainsi, une telle mise en scène, qui se fait délicatement oublier pour éclater aux derniers instants en apothéose, comme un bouquet de feu d’artifice final en hommage à l’œuvre de Molière, nous livre dans son écrin, un joyau du théâtre. Difficile de ne pas apprécier un tel spectacle ! Comme une modeste reconnaissance au génie éblouissant du « patron du théâtre français », tout semble s’accorder, ici, à nous révéler avec magnificence un répertoire dans sa plus noble évidence. ¶
Angèle Lemort
Les Trois Coups
Cinq comédies de Molière, programme 1, de Molière
Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69627 Villeurbanne cedex
04 78 03 30 13
Mise en scène : Christian Schiaretti
Avec : Laurence Besson, Olivier Borle, Jeanne Brouaye, Julien Gauthier, Damien Gouy, David Mambouch, Clément Morinière, Jérôme Quintard, Julien Tiphaine, Clémentine Verdier
Conseiller littéraire : Gérald Garutti
Lumière : Julia Grand
Costumes : Thibault Welchlin
Coiffures, maquillage : Nathalie Charbault
Directeur des combats : Didier Laval
Chant : Emmanuel Robin
Danse : Véronique Élouard, Maud Tizon
Assistante : Laure Charvin-Gautherot
Habilleuses en jeu : Aude Bretagne, Adeline Isabel
Techniciens en jeu : Luis Carmona, Fabrice Cazanas
Décors conçus et réalisés par les ateliers du T.N.P. sur une idée de Chrisian Schiaretti
Théâtre 71 • 3, place du 11-Novembre • 92240 Malakoff
Réservations : 01 55 48 91 00
Du 25 mars au 28 mars 2009 et les 7 et 8 avril 2009, mercredi, jeudi à 19 h 30 ; mardi, vendredi, samedi à 20 heures
Durée : 3 h 25, avec entracte
23 € | 16 € | 13 € | 11 € | 9 €