Cathos, pervers et mesquins
Par Nicolas Belaubre
Les Trois Coups.com
Hugo Claus, malheureusement méconnu en France, est l’auteur contemporain flamand le plus célèbre. Plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel de littérature, il a volontairement choisi l’euthanasie, il y a tout juste un an, pour échapper à la maladie d’Alzheimer. Anticlérical, il s’est érigé en pourfendeur du provincialisme et de la médiocrité de la société flamande. Dans son roman « la Rumeur », il s’approprie les mythes de la tragédie antique : péché, trahison, amours contre nature et expiation… C’est un très bel hommage que lui rendent Guy Cassiers et le collectif Olympique dramatique en adaptant son œuvre.
René Catrysse est un déserteur. Il a fui une guerre coloniale au Congo. Une guerre dégueulasse, absurde et traumatisante, comme toutes les guerres. Une guerre dont il ne veut pas parler… Sa famille le reçoit, à Alegem, son village natal en Flandre. Pas d’effusion pour le fils prodigue. Le silence est trop pesant. Pas de fête, non plus, pour l’accueillir. Les déserteurs, les traîtres ne sont pas les bienvenus au village, ce microcosme fermé sur lui-même et moralisateur. Noël, son frère, est un gentil débile qui a perdu la tête dans un accident de tandem. Il a une petite amie cachée : Julia, la chanteuse. Malheureusement, celle-ci est promise à un autre, un riche, et est attirée par René.
Il y a aussi le facteur Staelens qui paye une gamine de treize ans pour des faveurs sexuelles ; le révérend Lamantijn qui se sent une vocation de purificateur et Le Pot-aux-roses, le café du village avec ses habitués malveillants. Toute une galerie de portraits cyniques, de personnages englués dans un cloaque, sur lequel se répand fatalement une peste dont l’origine semble liée à l’arrivée de René. La rumeur enfle, bouillonne… Les coupables devront payer pour le salut des autres ! Mais qui n’a jamais péché ?
Autant l’histoire ne se laisse pas facilement résumer, autant la mise en scène et les décors sont d’une sobriété et d’une économie remarquables. Nous découvrons, en prenant place dans la salle, un plateau envahi par une forêt de pieds de micro et quelques miroirs. Pas d’objets, de meubles. Un instant, on pense s’être trompé de spectacle et assister au concert de tout un orchestre. On s’inquiète un peu. Les micros effraient toujours les spectateurs de théâtre.
« la Rumeur » | © Koen Broos
Cependant, on se laisse très vite conquérir. Dans l’ombre, chaque comédien attend discrètement son tour pour entrer en scène. Il n’y a pas de coulisses. Convoqués par un tableau d’affichage qui désigne les personnages, ceux-ci s’avancent, pour nous dire leur texte en néerlandais. La présence des pieds de micro limite considérablement les possibilités de mouvements. L’incroyable potentiel des sept comédiens issus du collectif anversois Olympique dramatique ne s’en révèle que mieux. Ils parviennent à se glisser, sans artifice, dans la peau des différents personnages qu’ils interprètent. On est subjugué par l’intensité de l’émotion. Tout y est : la folie, la colère, la haine, la jouissance, le désir… Une prestation impeccable.
De la même manière, les comédiens jouent avec finesse et intelligence du dispositif mis en place par Guy Cassiers, habitué de l’innovation et du recours aux nouveaux médias. Toutes les contraintes liées à l’usage de micros, de miroirs et de pédales d’effets sont exploitées au profit de l’humour ou de jeux d’évocation : la différence de hauteur des micros suggère ainsi les deux étages d’une maison.
C’est une double gageure que de présenter une pièce de deux heures quarante-cinq en langue étrangère, surtitrée, et jouée avec des micros, de manière frontale et statique. Un morceau de bravoure dont la troupe se sort merveilleusement. On perd, il est vrai, une partie du texte, à jongler entre la scène et le surtitrage. Néanmoins, l’émotion est au rendez-vous. Le suspens nous tient… La Rumeur fait donc partie de ces trop rares spectacles qui vous donnent réellement envie : envie de lire le roman de Hugo Claus et, surtout, de retourner au théâtre. Merci et bravo. ¶
Nicolas Belaubre
La Rumeur, adapté par Toneelhuis et Guy Cassiers du roman De Geruchten (la Rumeur), de Hugo Claus
Collectif Olympique dramatique • Komedieplaats 18 • 2000 Anvers
03 224 88 00 | télécopie : 03 224 88 01
Par et avec : Guy Cassiers, Katelijne Damen, Tom Dewispelaere, Ben Segers, Liesa Van der Aa, Marc Van Eeghem, Stijn Van Opstal, Greet Verstraete
Concept esthétique et scénographie : Enrico Bagnoli, Diederik De Cock, Arjen Klerkx
Costumes : Ilse Vandenbussche
Décor sonore : Diederik De Cock
Chant : Liesa Van der Aa
Dramaturgie : Ellen Stynen et Erwin Jans
Assistante mise en scène : Lut Lievens
Responsable de la production : Stefaan Deldaele
Direction technique : Kurt Verleure
Technicien son : Jens Drieghe
Technicien lumière : Chris Vaneste
Réalisation décor : Karl Schneider, Patrick Jacobs, Bruno Bressanutti, Filip Homblé (atelier Toneelhuis)
Réalisation des costumes : Erna Van Goethem, Christiane de Feayter, Natalie Douxfils (atelier Toneelhuis)
Habilleuse : Monique Van Hassel, Kathleen Van Mechelen
Théâtre Garonne • 1, avenue du Château-d’Eau • 31000 Toulouse
Réservations : 05 62 48 54 77
Mardi 24, mercredi 25 et jeudi 26 mars 2009 à 20 heures, vendredi 27 et samedi 28 mars 2009 à 20 h 30
Durée : 2 h 45, avec entracte
20 € | 16 € | 11 €