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24 mai 2009 7 24 /05 /mai /2009 09:48

Ça jazze à Coutances 


Par Jean-François Picaut

Les Trois Coups.com


Vous ne connaissez pas Coutances, en Normandie, et son festival « Jazz sous les pommiers » ? Il est urgent, pour vous de combler cette lacune. J’espère que cette série de trois chroniques, couvrant trois jours de festival, saura vous y inciter.

Dans la douceur du bocage normand, à quelques encablures de la mer, Coutances, perchée sur sa colline que domine son imposante cathédrale, est, chaque année depuis 1982, le siège d’un festival de jazz printanier dont l’importance ne cesse de croître. Cette année, cette petite ville (ou cette grosse bourgade, comme on veut) de 10 000 habitants accueille, du 16 au 23 mai, dans six lieux de concerts : 5 créations, 47 concerts payants, plus de 300 musiciens professionnels et 500 amateurs, appartenant à 23 nationalités, pour un budget d’environ 1,2 million d’euros dont 41 % financés sur ressources propres, excusez du peu !

Jeudi 21 mai 2009

La Basse-Normandie nous gratifie d’un de ces ciels dont elle a le secret et qui enchantent les peintres, soleil et nuages mêlés ou alternés dans une lumière à émouvoir les pierres.

La kermesse jazzistique a envahi tout le quartier autour de la cathédrale, dont le parvis lui-même accueille les saltimbanques. Une foule nombreuse et nonchalante mais joyeuse parcourt les rues, s’arrêtant pour un concert de rue ou pressant un peu le pas pour une bonne place au prochain spectacle : ici, on joue presque toujours à guichet fermé. On y croise aussi bien des têtes chenues que des jeunes gens presque imberbes et toutes sortes de familles.

De cette journée qui ne proposait pas moins de 10 concerts, j’ai retenu trois moments qui m’ont particulièrement intéressé.

Terres arc-en-ciel avec Archimusic (création)

La formation de Jean-Rémy Guédon mêle des musiciens de différentes cultures, classique et jazz. Pour ce projet qui marie des influences afro-américaines au jazz et à la musique contemporaine, elle a invité un musicien béninois et deux spécialistes du bélé (percussion antillaise). Pour moi, ce concert a connu trois grands moments : le premier morceau avec les interventions chantées et dansées de Jean-Richard Codjia (Bénin), le solo de trompette de Nicolas Genest dans une pièce de sa composition et le dialogue de Nicolas Fargeix (clarinette) avec les trois percussions traditionnelles. Tout au long du concert, la dextérité et la musicalité des deux tambourinaires antillais, Franz-Féréol et Philippe Gouyer-Montout, ont été remarquables.

Branford Marsalis quartet

La salle Marcel-Hélie (1 400 places) est archicomble depuis longtemps lorsque, à l’heure précise prévue pour le concert, l’aîné des Marsalis, Branford, y fait son entrée, bien sanglé dans un costume gris, trois pièces, d’une très grande élégance.

Le premier morceau ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, mais j’ai commencé à dresser l’oreille au second, très swing, qui a offert un très beau solo à la contrebasse d’Éric Revis. Je chavire avec la salle lors d’une ballade poignante au saxo soprano, qui permet à Joey Calderazzo (piano) de montrer de belles qualités de phrasé, de mélodie et d’intensité dramatique.

Pendant que le chef se repose, ses trois compagnons montrent l’étendue de leur talent et font la preuve qu’ils pourraient parfaitement fonctionner en trio. C’est l’occasion pour le batteur, Justin Faulkner, de montrer toute sa vélocité.

Dans un morceau exécuté au saxophone alto, Marsalis fait preuve de sa magistrale virtuosité soutenue par le piano qui swingue avant de laisser le chef en tête à tête avec sa section rythmique, dont on sent alors toute la force et la cohésion. Le public qui trépignait lors du morceau précédent exulte cette fois sans retenue.

Suit une longue méditation au saxophone soprano. Marsalis senior semble suivre les méandres de sa pensée vagabonde tandis que la contrebasse égrène des notes comme une horloge implacable. On en oublierait presque le piano et la batterie, abîmés, nous aussi, dans une sorte de contemplation rêveuse : un vrai moment de grâce.

Puis une sorte de bis démarre par un solo de contrebasse dans lequel s’introduisent peu à peu le piano, la batterie et le saxo soprano. On commence à s’ennuyer un peu avant que le maître ne conclue par une intervention aussi débridée que virtuose.

Un dernier bis en tutti, musclé, swinguant en diable avec Marsalis au ténor, offre à la batterie la possibilité de montrer, outre sa dextérité, une belle invention rythmique, et la conclusion arrive, évidente dans sa force. Le public, debout, salue l’artiste d’une longue ovation.

Duo Jean-Marie Machado / Dave Liebman

La salle du théâtre était pleine à craquer de spectateurs enthousiastes et pourtant j’ai cru ne jamais « entrer » dans ce concert à deux voix. Une des explications, sans doute, réside dans mon incapacité à concevoir qu’on puisse dépasser à la clarinette le concerto que Mozart lui a consacré. Vous imaginez ma gêne devant un virtuose, Dave Liebman, qui ne sort guère de son instrument que des stridences et qui stridule encore la plainte la plus élégiaque. Et pourtant le miracle s’est produit. D’abord avec une composition de Machado, les Yeux de Tangaki, où Liebman utilise d’abord un piccolo puis établit un dialogue, encore timide, entre sa clarinette aux colorations orientales fugaces et le piano qui use de rythmes très variés.

Le moment de pur bonheur de ce concert est la composition que Machado a tirée de Nostalgie de toi, un fado chanté par Amalia Rodrigues. Le piccolo brille sur fond de sonorités diverses tirées de son piano par Machado en jouant directement sur les cordes frappées ou frottées. Puis la clarinette entre dans le dialogue avec un registre plus grave. Une pure merveille.

Pour le bis, la clarinette semble avoir retrouvé la mélodie, le dialogue avec le piano est évident : je peux sans réserve me joindre au concert d’applaudissements qui terminent le spectacle.

La nuit n’est pas finie. Dehors, la fumée des grillades embrume l’atmosphère. La fraîcheur réussit à peine à clairsemer les rangs de festivaliers. La rue résonne encore de concerts en plein air, mais pour moi le temps est venu de me retirer pour savourer, loin du bruit, toutes ces émotions.

À suivre…

Jean-François Picaut

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