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Par Les Trois Coups
Le Théâtre Mega-Pobec s’attaque à une œuvre de Jean-Yves Picq profonde et déroutante : « le Cas Gaspard Meyer ou De l’influence de la mémoire indienne sur un court de tennis ».
Duel entre deux hommes, sur un terrain de tennis défraîchi. Gaspard Meyer est le fils d’un requin de la finance qu’il s’apprête à dénoncer publiquement pour association de malfaiteurs et crime contre l’humanité. Replié sur lui-même, Gaspard Meyer s’est inventé un langage des signes et communique dans une langue composée de langues disparues avec l’esprit d’une vieille femme indienne. Le professeur Artmann, anthropologue et linguiste, est là pour percer son mystère et peut-être lui éviter l’asile.
Mais leur échange dépasse ces enjeux et acquiert une dimension fantastique. Paradoxalement, le cadre spatio-temporel apparemment très précis explose finalement : le terrain de tennis, symbole d’une société fondée sur la compétitivité, est la surface trompeuse d’une terre multiculturelle. Et le temps de la rencontre, construit sur le modèle d’un match découpé en sets, est contredit par l’épaisseur de la mémoire et l’incertitude de l’avenir.
Le Cas Gaspard Meyer est une œuvre complexe, dont il faut prendre la peine de découvrir les différentes strates, à l’image de ce revêtement de tennis recouvrant la terre des ancêtres oubliés qui grondent leur fureur.
Cette « fable poétique sur l’économie » joue sur la confrontation de deux réalités dont Gaspard Meyer est le médiateur : le monde ultralibéral, visible, criard, et l’univers invisible d’une humanité oubliée, dont la vieille indienne se fait le porte-parole : « Si mon cœur est aujourd’hui malade de la maladie de la mort, c’est parce que vous avez fait de cette terre qui devait nourrir l’homme et lui permettre de vivre ce rêve éveillé qu’est la vie, vous en avez fait un lieu de souffrance et de famine, un lieu de calcul et de honte, vous avez fait du rêve de vie, un cauchemar de mort. »
Le texte sonne comme un appel désespéré au réveil des consciences. Le public, disposé de part et d’autre de l’aire de jeu selon un dispositif bifrontal, est invité à participer activement à cet échange. Ce choix scénographique est pertinent, même si l’espace scénique n’en permet pas une réalisation optimale. En revanche, la présence d’un côté des gradins de la régie est plutôt perturbante si on se trouve en face, comme ce fut mon cas. Ainsi, les voix off sont faites en direct et à vue par Marie Crouail dans un micro, ce qui enlève beaucoup au mystère.
L’étrangeté naît davantage du jeu des comédiens, qui portent le texte avec une justesse remarquable. Julien Flament incarne un Gaspard Meyer très sobre et profond. Quant à Jean-Pierre Brière (également metteur en scène), il fait du professeur Artmann une énigme à part entière. Un échange déroutant.
En montant le Cas Gaspard Meyer, le théâtre Mega-Pobec fait le choix courageux d’une écriture contemporaine féroce et dérangeante, qui pose sans aucune complaisance de vraies questions sur le monde actuel. ¶
Émilie Démoutiez
Les Trois Coups
Le Cas Gaspard Meyer ou De l’influence de la mémoire indienne sur un court de tennis (fable poétique sur l’économie), de Jean-Yves Picq
Théâtre Mega-Pobec
Tél. : 02 32 31 34 44
Courriel : mega.pobec@wanadoo.fr
Site : www.megapobec.fr
Mise en scène : Jean-Pierre Brière
Avec : Julien Flament, Jean-Pierre Brière et la participation de Marie Crouail
Direction d’acteurs : Marie Crouail
Scénographie : Pascale Mandonnet et Jean-Pierre Brière
Costumes : Pascale Mandonnet
Lumières et son : Didier Préaudat
Voix indienne : Monique Fontaine
Conseiller en langue indienne : Sylvio Gané
Régisseur : Marc Leroy
Théâtre Buffon • 18, rue Buffon • 84000 Avignon
Réservations : 06 82 29 76 46
Du 6 au 29 juillet à 12 heures
Durée : 1 h 30
Plein tarif : 14 euros, tarif abonnés : 10 euros
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