Du bohême au bohémien
Germain Nouveau ? Connais pas ! Et pour cause : ce contemporain de Rimbaud et de Verlaine a voulu par testament que son œuvre disparaisse. La compagnie Artscénicum nous dévoile pourtant son troublant univers poétique.
Germain Nouveau quitte son Var natal et monte à Paris à 17 ans, en 1966, pour vivre de dessin. Il fréquente les milieux artistiques de la rive gauche, devient l’ami de Rimbaud puis de Verlaine, vit à Londres… Interné à Bicêtre pour délire mélancolique teinté d’idées mystiques, il vit d’aumônes dans la plus grande pauvreté à Aix et Marseille, avec un passage comme professeur de dessin à Alger. Passant de l’amour des femmes à celui de Dieu, il se repend d’« avoir fait à Dieu d’horribles guerres ». Mais, avant de mourir, Nouveau demande que soient détruites les publications et jusqu’aux manuscrits de ses œuvres. Il ne reste aujourd’hui de lui que Valentine et la Doctrine de l’amour, ainsi qu’un grand nombre de lettres échangées avec ses deux amis, et publiées par la Pléiade.
C’est dans ces textes réchappés de la destruction qu’Artscénicum a puisé pour ressusciter la vie « publique » de Nouveau. Deux comédiens donnent à entendre ses poèmes et surtout ses lettres, dont les dates, avec la mention des lieux visités, scandent la mise en scène. En écho au jeu talentueux de Philippe Chuyen, Jean-Louis Todisco met en musique les mots mêmes de l’artiste. Tous deux, passionnés de la culture méridionale, qui ne se résume pas au xxe siècle pagnolien, font ainsi œuvre de belle mémoire. Mise en mots et en musique. Mise en espace aussi par un mobile qui leur sert de support et de véhicule : la mise en scène s’en trouve d’autant plus fluide, mouvante et dynamique.
Il est un seul regret face à de si beaux textes très astucieusement interprétés. Pourquoi un poète menant une vie mondaine mêlant débauche, alcool et bohême va-t-il basculer dans une radicalité de vie tout évangélique, imitant l’errance de saint Benoît Labre ou l’extravagance des fols-en-Christ ? Folie ? Expérience religieuse ? Excès de dépouillement par dépit de la gloire ? Le choix des textes du Mendiant magnifique ne permet pas vraiment de trancher. Dans sa quête d’absolu, Nouveau a peut-être refusé une carrière qu’il pressentait médiocre et opté pour un radical dépouillement. À moins qu’il n’ait voulu esthétiser une déchéance psychique et sociale. Si l’interprétation ne tranche pas cette délicate question, elle laisse aussi le spectateur sans toutes les clefs pour élaborer son propre jugement. ¶
Olivier Pradel
Les Trois Coups
Le Mendiant magnifique, de Philippe Chuyen
Compagnie Artscénicum • 2, place Gabriel-Péri • 83570 Montfort-sur-Argens
06 09 30 56 41 | 06 21 63 75 13
Avec : Philippe Chuyen
Musique : Jean-Louis Todisco
Peinture : Jacques Badeau
Costumes : Corinne Guilloux
Lumière : Michel Neyton
Régie : Nolven Badeau
Salle Roquille • 3, rue Roquille • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 16 09 27 ou 04 90 85 43 68
Du 8 au 30 juillet 2009 à 15 h 30, les jours pairs
Durée : 1 h 5
12 € | 8 €