Du bel art !
Par Claire Stavaux
Les Trois Coups.com
Un peu à l’écart de la tapageuse rue des Teinturiers, la salle Roquille est un véritable écrin théâtral, tapissé de tissu noir et orné de chaises d’époque, dans une ambiance calfeutrée et sans artifices. De l’art pur et bien ouvragé !
Cette année Sylvie Boutley s’est attelée à la dernière nouvelle de Kafka, « Joséphine la cantatrice ou le Peuple des souris », un texte assez énigmatique et sinueux, publié dans une revue pragoise en avril 1924 pour subvenir aux frais de sanatorium et ajouté au recueil posthume « Un artiste de la faim », sorte d’autoportrait au vitriol de l’artiste.
Sylvie Boutley compose une mise en scène à l’image du texte, complexe, abstraite et symbolique, qui dévoile avec progression et jubilation les méandres de la pensée kafkaïenne. Elle n’illustre pas le texte, elle le tord et le dissèque dans toute sa précision, dans ses redites inlassables et ses inquiétantes obsessions. Miroir féminin de Joseph K, qui est donc cette mystérieuse et autoritaire Joséphine au chant puissant, cette étrange cantatrice au nom d’impératrice ? Mais chante-t-elle réellement ? N’émet-elle pas plutôt un sifflement ? Quel est alors ce sifflement unique et fragile qui attire un peuple « pourtant peu enclin à la musique » ? (ce qui prête à sourire si l’on songe aux génies de la musique qu’a enfanté la patrie de Goethe et de Schiller).
Certains commentateurs y ont vu une image de Kafka lui-même et de son art, modeste, écrasant et irremplaçable. Ou celle de la censure artistique en temps de dictature et de l’autoaliénation d’un peuple qui vénère ses bourreaux ? De ce texte qui soulève mille questions, tisse mille énigmes, Sylvie Boutley parvient à rendre visibles les métaphores, à démanteler les réseaux et défaire les nœuds. Le texte est envisagé comme des cubes qui s’emboîtent, jusqu’à parvenir en son centre à une petite noix, que Mathilde Dromard casse avec jubilation ; ou comme un puzzle que l’on reconstitue au fil du récit, pièce par pièce.
Vêtues de tabliers d’artiste, les trois comédiennes sont si talentueuses qu’on ne saurait les départager. Elles représentent, elles aussi, différentes facettes de la personnalité de l’artiste. Valérie Paüs est gracieuse et espiègle, Sophie Rossano plutôt rêveuse et pleine de fraîcheur. Quant à Mathilde Dromard, imposante et charismatique, sa présence scénique est magistrale. Leurs poses évoquent celles de modèles ou de statues dans les ateliers des beaux-arts. Chacune à sa manière sait s’approprier le texte, lui prêter son corps et sa voix. Chaque réplique est juste, travaillée et ouvragée avec précision. Chaque morceau de texte a été « choisi », pour ainsi dire calibré pour chacune. C’est là tout l’art de Sylvie Boutley, qui sait choisir ses perles et les cultiver jusqu’à l’éclosion du spectacle. Un vrai petit bijou trois K-rats. ¶
Claire Stavaux
Le K Joséphine, de Franz Kafka
Compagnie La Roquille • 3, rue Roquille • 84000 Avignon
06 86 80 60 72
Mise en scène et décors : Sylvie Boutley
Avec : Mathilde Dromard, Valérie Paüs et Sophie Rossano
Salle Roquille • 3, rue Roquille • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 16 09 27
Du 8 au 22 juillet 2009 à 19 h 30
Durée : 1 heure
12 € | 9 €