Warlikowski passe le sacrifice familial au scalpel
Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups.com
Le metteur en scène polonais Krystof Warlikowski vient de présenter sa dernière création dans la cour d’honneur d’Avignon : « (A)pollonia », un montage de textes composite, provocateur et incisif, autour de la notion de sacrifice humain. L’étrange épopée arrive à Paris en automne (du 6 au 12 novembre 2009 au Théâtre de Chaillot).
(A)pollonia est un voyage dans l’enfer de ces soixante dernières années. À commencer par l’horreur du ghetto polonais de la Seconde Guerre mondiale. La pièce s’ouvre en effet sur un dialogue entre une femme et son neveu mourant, à Varsovie, quelques jours avant une déportation vers le camp de Treblinka. Warlikowski dresse ensuite une histoire de l’humanité troublante, à travers un catalogue de sacrifices antiques et modernes : d’Iphigénie, l’héroïne grecque d’Eschyle et Euripide, au personnage historique d’Apollonia, fusillée en Pologne pour avoir abrité des juifs durant la guerre.
Des bourreaux et des victimes tous azimuts (venant des tragiques grecs, de l’auteur polonais Hanna Krall, de Jonathan Littell, de John Coetzee ou encore de Rabindranath Tagore) défilent ainsi dans des saynètes spectaculaires. Le plateau se couvre de microespaces de jeu, où les acteurs n’hésitent pas à se mettre en danger. Un travail sur l’éclairage et sur la vidéo (une succession de gros plans et des allusions à la Nouvelle Vague et au western) met en exergue leurs larmes ou leur folie meurtrière. Les décors stylisés, alliés à la musique en direct de Renate Jett, offrent une lecture totalement inédite des mythes grecs. Et ça décape !
« (A)pollonia » | © Magdalena Hueckel
Iphigénie, qui accepte vaillamment d’être immolée pour raison d’État, est finalement glacée d’effroi face à la mort. Son père Agamemnon, une fois la guerre passée, affirme – chiffres à l’appui – que tout homme est capable de tuer. Clytemnestre est fière de raconter comment elle assassine son glorieux époux. Son fils Oreste veut l’assassiner. Par la suite, un Apollon gay évoque l’affaire Alceste avec Thanatos : la jeune femme accepte de mourir à la place de son mari Admète, alors que les parents de ce dernier ont, eux, refusé. Mais ses motifs sont moins purs qu’il n’y paraît. Elle sera ensuite ressuscitée par Héraclès. Enfin, Apollonia, archétype du courage polonais, vient clore le cycle des sacrifiées. Elle est exécutée par les S.S. à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son père aurait pu prendre sur lui les actes de sa fille et mourir à sa place, mais il refuse.
Dans la seconde partie du spectacle, plus réflexive, Warlikowski met en scène une parodie de conférence scientifique sur les thèmes de la faute, la peine, l’holocauste, la survie, l’humanité, l’impossibilité de vivre sans compromis. Il donne également la parole au fils d’Apollonia, qui ne comprend pas le sacrifice maternel. Textes, registres, références s’entremêlent donc pour explorer la question du meurtre. Sommes-nous tous capables de (nous) tuer ? Comment vivre quand on est fils de victime ou de bourreau ? Pourquoi se sacrifier ? S’agit-il d’un acte héroïque ? Sacré ? Absurde ? Égoïste ? Suicidaire ?
(A)pollonia aborde un sujet à vif et, pourtant, refuse de trancher, de s’engager. À moins qu’il ne s’agisse d’une autre forme d’engagement. La pièce demeure troublante, contradictoire et ambiguë, car elle dénonce une forme de relativisme ambiant, tout en le mettant en œuvre. Voilà qui est bien dérangeant. Et très puissant. ¶
Lorène de Bonnay
(A)pollonia, d’Euripide, Eschyle, Hanna Krall, Jonathan Littell, J.-M. Coetzee…
Théâtre-musique
Création 2009
Nowy Teatr • Madalinskiego 10/16 02-513 Warszawa • Varsovie
+48 22 849 35 53 | télécopie : (+48) 22 849 35 51
Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Adaptation : Krzysztof Warlikowski, Piotr Gruszczyński, Jacek Poniedzialek
Dramaturgie : Piotr Gruszczyński
Avec : Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dalkowska, Malgorzata Hajewska-Krzysztofik ou Danuta Stenka, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Zygmunt Malanowicz, Adam Nawojczyk, Maja Ostaszewska ou Jolanta Fraszyńska, Magdalena Poplawska, Jacek Poniedzialek, Anna Radwan-Gancarczyk ou Monika Niemczyk, Maciej Stuhr, Tomasz Tyndyk
Et les musiciens : Pawel Bomert, Piotr Maslanka, Pawel Stankiewicz, Fabian Wlodarek
Vidéo : Pawel Loziński
Musique : Pawel Mykietyn, Renate Jett, Piotr Maslanka, Pawel Stankiewicz
Chansons, texte et voix : Renate Jett
Lumière : Felice Ross
Son : Lukasz Laliński
Scénographie et costumes : Malgorzata Szczesniak
Maquillage : Gonia Wielocha
Coiffure : Robert Kupisz
Production : Adam Sienkiewicz (Pologne), Nicolas Roux (France-Belgique-Suisse)
Production : Nowy Teatr (Varsovie)
Coproduction : Festival d’Avignon, Théâtre national de Chaillot, Théâtre de la Place (Liège), Théâtre de la Monnaie (Bruxelles), Wiener Festwochen (Vienne), Comédie de Genève, centre dramatique, Narodowy Stary Teatr (Cracovie)
Cour d’honneur du palais des Papes • 84000 Avignon
Du 16 au 19 juillet 2009 à 22 heures
Durée : 4 heures
38 € | 31 € | 15 € | 25 € | 30 € | 13 €
Spectacle en polonais surtitré en français