« Évadé d’Auschwitz », de Manuel Pratt (critique de Vincent Cambier), La Tarasque à Avignon

Nommer l’innommable

« Moi, ça m’atteint pas ! Moi, je suis plus fort ! Moi, je crèverai pas ici ! »

Comment écrire sur le dernier opus de Manuel Pratt, Évadé d’Auschwitz, sans dire de conneries ?

Comment dire ce qui, précisément, ne peut pas se dire : l’innommable ? Comment raconter la torture, l’humiliation, la sensation d’être un insecte, la haine démente du « différent » ? Comment parler d’un endroit où même « le soleil était nazi » ? Comment le détenu no 44070 pourrait-il « rapporter » puisque « le trésor d’Auschwitz, c’était le silence ! » ?

« Moi, ça m’atteint pas ! Moi, je suis plus fort ! Moi, je crèverai pas ici ! »

Manuel Pratt cafte, pourtant. À partir de récits d’anciens déportés. En écrabouillant le moindre effet théâtral, le plus petit gage de bonne conscience, la plus subtile récupération. Il troque ainsi, symboliquement, une « tenue de zèbre » contre un « uniforme » blanc, neutre.

Il ne laisse pas un millimètre de prise où s’agripperaient goulûment les révisionnismes de tout poil, cette gangrène de la pensée humaine. Pas d’échappatoire possible, non plus à notre bonne conscience d’Occidental bien nourri, volontiers oublieux de l’Histoire.

« Moi, ça m’atteint pas ! Moi, je suis plus fort ! Moi, je crèverai pas ici ! »

Dans ce Festival d’où suintent des traînées purulentes de mercantilisme, des traces visqueuses de racole médiatique, cette représentation « dénote », pour employer une litote délicate. Les spectateurs et le comédien sortent de cette petite heure en morceaux. Et essayent de recoller les bouts. Parce qu’il faut bien vivre. Parce qu’il faut témoigner, encore et toujours. Parce qu’il faut tout faire pour éradiquer l’épidémie propagée par les embubonnés de la peste brune. Parce qu’il faut stopper la barbarie en marche. Parce qu’on n’a pas le droit de baisser les bras.

« Moi, ça m’atteint pas ! Moi, je suis plus fort ! Moi, je crèverai pas ici ! » ¶

Vincent Cambier

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com

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Évadé d’Auschwitz, de Manuel Pratt

Mise en scène de Manuel Pratt

La Tache d’encre • 1, rue de la Tarasque • Avignon

04 90 85 97 13

Du 10 juillet au 2 août, à 13 heures (55 minutes)