Le meilleur juste pour la fin
Laura Plas
Les Trois Coups.com
Le festival de jeunes metteurs en scène du Théâtre 13 s’achevait hier en beauté avec « Juste la fin du monde », mis en scène par Samuel Theis. Un spectacle fin servi par une belle distribution et dont les choix rendent plus familière la pièce complexe de Jean-Luc Lagarce.
La fin du monde, c’est en fait la fin d’une vie. Louis sait qu’il va mourir. Longtemps, il a vécu loin de sa famille. Lui, l’écrivain, il ne savait pourtant que griffonner quelques lignes sur des cartes postales mal choisies. Il revient chez lui une dernière fois. Alors, chacun va lui parler. Parler de sa vie un peu, parler beaucoup de ce frère dont l’absence et l’indifférence font mal. Lagarce nous livre ainsi une pièce juste sur la famille, sur ses liens que l’on voudrait trancher sans jamais y parvenir.
Pour le faire, il nous fait lire entre les lignes d’un langage souvent indigent, plein de contradictions. Dans des propos quotidiens surgit soudain un passé simple, décalé. De même, la logorrhée de cette famille signifie son malaise. Car tous parlent, parlent jusqu’à (s’)étourdir, mais butent en même temps sur les conjugaisons quand ils s’expriment devant Louis, le mutique maître des mots. Samuel Theis dirige les comédiens de façon à leur faire exprimer ces tensions du langage. Les moments délibérément théâtraux alternent, alors, avec des soliloques d’une fluidité naturelle.
Par ailleurs, Jean-Luc Lagarce fait coexister des temporalités différentes dans la pièce. Au présent, nous assistons à la brève visite du fils prodigue, derrière le quatrième mur. Dans un récit rétrospectif, par ailleurs, Louis s’adresse à nous, seuls confidents de sa mort prochaine. Et cet aspect est là encore rendu avec finesse par la mise en scène. De fait, celle-ci sépare toujours Louis de sa famille, tandis qu’elle le rapproche de nous. Il habite ainsi l’avant-scène, les pieds ballants parfois dans la salle. Pourtant, le désarroi qu’éprouve la famille de Louis face à sa différence indifférente, nous le ressentons aussi. Car nous sommes confrontés à un regard fuyant, à un visage souvent peu mobile, à un dos énigmatique le plus souvent.
Autre idée ingénieuse bien qu’un peu périlleuse : la présence des enfants sur scène. Elle s’accorde avec l’ambiguïté qu’instille Lagarce en donnant le même nom au personnage narrateur, au fils de son frère, à son père. Samuel Theis choisit de faire monter sur scène une petite fille et un petit garçon. Ce duo fait plutôt penser à celui que forment les enfants d’Antoine, le frère. Or, ces enfants ne devraient pas être là, ils ont été envoyés chez leur grand-mère maternelle. Qui sont-ils donc ? Le petit garçon reprend les mots que lui souffle le grand Louis, alors que la pièce avance vers sa fin. C’est aussi le premier à investir la scène, seul dans un grand fauteuil d’apparat qui semble réservé au fils prodigue. Héros d’un film de vacances indatable, il pourrait donc être l’image du narrateur enfant. Rien n’est évidemment tranché… d’où l’intérêt.
La petite madeleine de Lagarce-Theis
Ce qui est sûr, c’est que la présence des enfants permet de donner du corps à la pièce, et le voile de la nostalgie. Ce n’est pas le seul élément qui nous rend familière cette histoire de famille. À écouter de vieux vinyles, à voir des diapositives de l’adolescence ou de l’enfance des comédiens, on peut se reconnaître. Ainsi, ces éclats, ces silences ou ces rancœurs enfouies entre frères ne sont pas seulement du théâtre. La scénographie contribue à cette impression. Comme à la maison, il y a, par exemple, sur scène une grande table en mauvais bois, sur laquelle on met le couvert. Tintement des verres qui font ressurgir les dimanches.
L’interprétation sert ces idées pertinentes. Marie-Bénédicte Roy campe une mère lucide et ironique, incroyablement crédible. Humaine. De sa voix parfois lasse, elle fait surgir toutes les années passées de la famille. Surtout, Aymeric Lecerf porte toute la fin de la pièce avec un talent indéniable. La pièce de Lagarce a, en effet, ceci d’étrange qu’elle déplace le centre d’intérêt du spectateur tout en instaurant un crescendo dramatique. La tragédie du fils devient celle d’Antoine. Il est le seul personnage à s’exprimer longuement à plusieurs reprises. Dans ses cris, ses pleurs rentrés, il y a le négatif de l’attitude de Louis. Et l’empathie agit. Les personnages viennent se placer peu à peu du côté d’Antoine, et sans doute le spectateur opère-t-il le même rapprochement en son cœur. Encore faut-il que l’on y croie, et le jeu d’Aymeric Lecerf, tout en nuances, en ruptures, le permet. La pièce s’achève ainsi alors que l’on retient son souffle. Un beau moment. ¶
Laura Plas
Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce
Éditions Les Solitaires intempestifs
Mise en scène : Samuel Theis
Avec : Sandrine Attard, Aymeric Lecerf, Pauline Moulène, Marie-Bénédicte Roy, Samuel Theis et les enfants : Laura Genovivo et Gabriel Baillot
Scénographie : Myriam Rose et Tiphaine Monroty
Création son : Antoine Richard
Création lumière : Kévin Briard
Vidéo : Jean-Michel Briard et Samuel Theis
Théâtre 13 • 103 A, boulevard Auguste-Blanqui • 75013 Paris
Site du théâtre : www.theatre13.com
Réservations : 01 45 88 62 22
Mardi 28 juin et mercredi 29 juin 2011 à 20 h 30
Durée : 1 h 30
16 € | 12 € | 8 € | 6 €