Éblouissant !
Par Trina Mounier
Les Trois Coups.com
C’est une histoire tout à fait étonnante qu’a décidé d’adapter pour la scène le directeur du Théâtre Nouvelle Génération, Nino D’Introna. Une ancienne légende racontée par H. G. Wells, qui nous parle de voyants et d’aveugles, d’amour et de sacrifice, de liberté et de conformisme, de solitude et de renoncement. L’occasion pour le metteur en scène de renouer avec le métier d’acteur en endossant tous les rôles de ce conte initiatique, y compris celui du conteur, précisément. Performance difficile dans laquelle il réussit brillamment.
« le Pays des aveugles » | © Cyrille Sabatier
Un alpiniste qui a déjà fait le tour du monde disparaît un jour dans une sorte de crevasse et se retrouve « de l’autre côté », dans un pays peuplé d’hommes et de femmes apparemment semblables à lui, mais dont il découvre rapidement qu’ils sont tous aveugles et donc ne le voient pas. Lui est sûr d’avoir quelque chose en plus grâce à ce don de voir qu’il considère comme un sésame merveilleux pour découvrir la beauté. Eux, qui ignorent avoir vu un jour, ont développé leurs autres sens et ne perçoivent en lui qu’un être imparfait, sujet à des utopies, des fantasmagories. Ils ne vont donc avoir de cesse de vouloir le guérir de cette étrange maladie. Entre eux et lui, pourtant résolus à se comprendre, aucun pont n’est possible. C’est l’autre qui est incomplet, abîmé.
La fable est polysémique. Elle nous parle de notre rapport à l’autre, de notre relation à la connaissance, de nos illusions, du poids que font peser nos perceptions sur ce que nous croyons savoir. Et du prix que nous pouvons mettre dans cette croyance où se loge notre liberté. On comprend pourquoi Nino D’Introna destine tout particulièrement ce conte philosophique et initiatique aux jeunes à partir de dix ans.
Sons, ombres et lumières
La mise en scène, à la fois simplissime et élégante, presque sophistiquée, fait la part belle aux lumières, signées Andrea Abbatangelo. Pas ou presque de décor, les éclairages en tiennent lieu. Pour une fois, les fumigènes, souvent superfétatoires, trouvent ici un sens et une utilisation : ici vagues de la mer, là nuages, ils entretiennent surtout la sensation d’obscurité, de voile sur les yeux, renforcent le sentiment d’errance du personnage dans des contrées où, malgré la vue, il est perdu, contraint d’avancer à tâtons.
Quant aux Svoboda * qui, tel un mur de lumières, nous éblouissent, nous gênent, nous blessent même, ils jouent eux aussi leur rôle dans cette métaphore, nous aveuglant, nous, le public. Reste quelques belles images : celle du gong sur lequel frappe l’homme, nous transportant dans un ailleurs oriental, mais qui peut aussi bien être la lune, reine de la nuit.
Il faut revenir sur la prestation de Nino D’Introna, une vraie performance d’acteur, on l’aura compris, puisqu’il passe sans cesse de la neutralité distante du conteur à l’expression des sentiments des divers personnages : étonnement, inquiétude, fureur avec une égale maîtrise. Sur scène, à ses côtés, deux jeunes gens, une fille et un garçon une guitare à la main, jouent une partition originale de rock. Il s’agit de Paolo Cipriano et Valentina Mitola, interprètes talentueux du groupe italien très connu Supershock. Ils apportent le bruit et la fureur d’aujourd’hui dans cette histoire intemporelle. ¶
Trina Mounier
* Svoboda : une herse de 2 250 W ou 2 500 W, composée de neuf ou dix lampes 24 V, produisant un faisceau extrêmement intense et presque parallèle, le « rideau de lumière ». Utilisée en contre-jour, en douche ou comme éclairage frontal dur, la Svoboda libère une lumière unique, douce et pourtant intense, qui crée une ambiance toute particulière.
Le Pays des aveugles, d’après la nouvelle de Herbert George Wells
Adaptation et mise en scène : Nino D’Introna
Jeu : Nino D’Introna, en alternance avec Philippe Nesme
Musique originale en direct : Supershock (Paolo Cipriano et Valentina Mitola)
Lumières : Andrea Abbatangelo
Costume : réalisation Elisa Dessi et Nadège Joannès à partir d’un dessin de Carole Boissonnet
Maquillage et coiffure : Christelle Paillard et l’Atelier du Griffon, avec l’aimable participation de Grégory Mastrotefano
Régisseur son : Michaël Jayet
Régisseur lumières : Thierry Marmont
Régisseurs plateau : Jean-Yves Petit et Thierry Ramain
Théâtre Nouvelle Génération • 23, rue de Bourgogne • 69009 Lyon
Réservations : 04 72 53 15 15
Du 3 au 10 février 2012
Durée : 1 heure
9 € à 17 €
Reprise :
Théâtre Dunois • 7, rue Louise-Weiss • 75013 Paris
Renseignements et réservations : 01 45 84 72 00 ou reservation@theatredunois.org
Site internet : www.theatredunois.org
Du 20 mars au 31 mars 2013, mercredi 20 mars à 15 heures et mercredi 27 mars à 20 heures, samedis 23 et 30 mars à 18 heures, dimanches 24 et 31 mars à 16 heures
Tarifs de 6,50 € à 16 €