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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 23:43

« Mais si personne n’est là pour te raconter, qu’est-ce que tu peux savoir ? » (1)


Par Laura Plas

Les Trois Coups.com


La dix-septième édition d’Auteurs en acte s’ouvrait hier en beauté. La compagnie In situ présentait alors « Radio clandestine », une perle du théâtre-récit, portée par Richard Mitou. De quoi, suspendus aux lèvres du conteur, plonger dans l’histoire tragique de Rome, cette grande histoire tissée de récits minuscules qui font sourire ou serrent la gorge.

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« Radio clandestine » | © Michel Corbière

Bien sûr dans le nom de l’évènement, « Auteurs en acte », on entend tout le courage d’un festival qui a l’audace de ne présenter que des auteurs contemporains. Cette année : Fernando Arrabal, Ascanio Celestini, Alejandro Jodorowski, ou Rafael Spregelburd, excusez du peu ! Mais on pourrait aussi être sensible à la polysémie du mot « acte » : du côté du plateau comme de l’engagement, préparant l’avenir tout en parlant de maintenant. Cette année, de surcroît, pour nous parler d’ici, le festival osait prendre le large. Né sous la belle étoile de la latinité, il nous invitait ainsi à (nous) réfléchir. De quoi concevoir les plus grandes espérances.

Et l’on n’a pas été déçu, en effet. Le choix d’ouverture était pourtant culotté puisque le festival s’ouvrait avec le texte d’Ascanio Celestini, Radio clandestine. Pas de grosses machineries. Pas de scénographie impressionnante : des chaises, une belle lumière, rien de plus. Pas de troupe non plus, mais un comédien et un musicien. Un genre particulier, enfin, moins connu en France qu’en Italie, et qui demande une attention aiguë : le genre du théâtre-récit.

Le théâtre-récit, c’est cette forme qui fait confiance à la parole, celle vivante que l’on trouve déjà dans les monologues pleins de verve de Dario Fo, la parole fragile que le temps, l’oubli ou le mensonge ont attaquée, reniée. Radio clandestine se chauffe à cette parole-là, comme en atteste d’ailleurs son sous-titre : « Mémoires des fosses ardéatines ». L’œuvre raconte « une drôle d’histoire », une histoire que « personne ne veut entendre », que tout le monde croit connaître et résumerait en une minute, mais qu’on pourrait aussi bien narrer en une semaine. C’est en effet l’histoire d’un épisode sanglant de la Deuxième Guerre mondiale, mais c’est, en même temps, l’histoire de Rome durant plus d’un siècle. Et il ne s’agit pas d’un fait seulement, mais de la mémoire que l’on en a gardé.

Nous regarder mieux dans les yeux

Pour écrire, Ascanio Celestini s’est inspiré des travaux universitaires d’’Alessandro Portelli, de son essai L’ordre a déjà été exécuté. Il en a tiré un récit prenant dont l’ampleur ne provoque cependant pas la lassitude. D’abord, le récit se mâtine de dialogues. Le conteur s’adresse toujours à nous. Parfois, d’ailleurs, il se trouve à la limite de l’avant-scène. Parfois, carrément, il s’installe sur une chaise pour nous regarder mieux dans les yeux. Et même sur scène, son récit fait entendre la parole de quelqu’un d’autre : la toute petite, celle qui ne sait pas lire. Or, cette « toute petite » est incroyable. On n’y prête pas attention, on en sourit peut-être, mais peu à peu on cesse de la dédaigner : si belle figure du petit peuple romain négligé par l’histoire officielle.

Si le récit est si vivant, c’est encore parce qu’il se joue de nous. Il nous berce de ses refrains, nous charme en exhibant sa matière et puis, tout à coup, il nous révèle une surprise. Changement de couleur, changement de signification de ce que l’on croyait avoir compris, changement de cap. Un des talents de Richard Mitou, le comédien en scène, est de nous faire entendre cela. Il n’interprète pas un personnage, mais il donne corps au récit. Sa voix comme ses quelques gestes font surgir ici un dictateur et là une femme de victime, ici les fosses ardéatines et là, un quartier populaire de Rome dans sa nuit.

Exécutant comme une partition, il dialogue alors avec le musicien Gérard Chevillon, dont les interventions ne se réduisent ni à la ponctuation ni à l’illustration. Car, quand ce dernier, si discret et si présent à la fois, égrène les notes de son saxophone ou de sa clarinette, c’est toujours pour ajouter du sens, apporter une nuance. Quelques notes de clarinette suffisent, par exemple, à nous faire humer la nostalgie des temps heureux.

Pas besoin d’autre chose. Sur le plateau presque nu, le déplacement d’une chaise prend alors d’autant plus de sens, comme l’apparition d’une petite bougie à la lueur incertaine, ou de cette orange que l’on devine à peine. La lumière suffit à habiller le spectacle de pudeur. Car il faut laisser la place à ceux dont on parle, ne pas voler la vedette à ceux que l’on fait sortir de l’ombre. Il y a, par exemple, ce marchand de parapluies qui profitait de la misère des autres, cette femme qui a compris que son mari ne reviendrait plus en lui apportant du linge, ce fasciste qui prêtait son fusil la nuit au camp adverse. Tous, comme par magie, reviennent d’entre les morts. Et parce que l’on nous conte des vies particulières, des journées particulières, on s’y reconnaît et on est saisi. Un beau moment pour un texte fort. La suite, vite ! 

Laura Plas


(1) Phrase extraite de la pièce.


Radio clandestine, d’Ascanio Celestini

Traduction : Olivier Favier

Éditions Espace 34

Traduction : Olivier Favier

Cie In situ • domaine de Bayssan • 34500 Béziers

Mise en scène : Dag Jeanneret

Avec : Richard Mitou

Musicien : Gérard Chevillon

Scénographie : Cécile Marc

Lumières : Christian Pinaud et Christophe Robin

Théâtre Victor Hugo • 14, avenue Victor-Hugo • 92220 Bagneux

Réservations : 01 42 93 13 04

Vendredi 4 novembre 2011 à 20 h 30 dans le cadre du festival Auteurs en acte

Durée : 1 h 20

10, 5 € | 8 €

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