Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.
Par Les Trois Coups
Splendeur inespérée
ou invisible ?
Par Fatima Miloudi
Les Trois Coups.com
Le studio Bagouet à l’Agora – Cité internationale de la danse – a accueilli, pour le premier week-end du festival Montpellier danse 2010, la Catalane Germana Civera. D’abord interprète auprès de Mathilde Monnier, elle est, depuis une dizaine d’années, connue du public montpelliérain comme chorégraphe. De retour, ce soir-là après son succès « Fuero(n) » en 2008, elle a quelque peu torturé le spectateur, lui donnant l’occasion d’être là pour voir et surtout ne pas voir. En somme, une démarche plasticienne sur la question du point de vue et du mouvement.
À peine entre-t-on dans la salle que l’automatisme consiste à chercher la bonne place. D’aucuns sont déjà installés, et le premier rang est comble. Reste le second où l’on se pose, espérant entrevoir la danseuse et voulant éviter le fond à tout prix, sûr alors de manquer le meilleur. Quoi de plus banal que de désirer voir ? Spectare, le mot latin nous dit bien la raison pour laquelle on s’assemble. Or ce n’est pas qu’il n’y a rien à voir, mais il semblerait, décidément, qu’on nous empêche de voir. Tout est dans l’attente de l’apparition de la danseuse. Pour mieux communiquer la chose, une explication du dispositif scénique est requise. Ainsi, trois ou quatre rangées concentriques s’amenuisent en un centre, dans lequel se tient un guitariste. Si l’on porte son regard vers l’avant, hormis les chanceux du premier rang – quoique ce n’est toujours que pour un temps –, on se heurte aux dos des spectateurs. Cependant, dans l’entre-deux surgit parfois, pour un instant, le corps fugace de la soliste. Pour voir, il ne faut donc pas uniquement regarder devant soi, mais bien avoir des yeux derrière la tête.
Mais où est-elle passée ?
Une série de rectangles-miroirs, disposés de façon à première vue aléatoire, nous oblige à une autre trajectoire. Regarder vers le haut pour observer ce qui se passe là-bas, derrière, au loin. Néanmoins, il n’y a toujours pas de continuité. D’une part, la surface réduite des miroirs en est la cause ; d’autre part, l’espace vacant entre ces panneaux rompt ce qui pourrait conduire à la perception d’une trame. Tout est définitivement dans la brisure. Et, si la danseuse déambule dans un espace circulaire, figure géométrique qui démentirait le propos, le spectateur, lui, ne voit qu’un surgissement éphémère. C’est un corps vêtu de blanc, ou poitrine nue, qui disparaît dans l’instant pour apparaître dans un autre miroir. Mais, l’on s’y attend à présent, pas dans celui qui suit immédiatement. Alors, il faut chercher. Mais où est-elle passée ? Que peut-on voir vraiment de là où l’on se tient ? Seulement une portion du visible obtenue d’un certain point de vue, parcellaire, s’entend.
« Splendeur inespérée » | © Frédéric Nauczyciel
Le mouvement n’est que passage. Il échappe au spectateur assis, fixé, par nature, à sa place. Qu’il tente de tourner la tête, alors le mouvement se déploie ailleurs, dans un autre endroit de la salle, non plus accessible pour lui, mais visible désormais à d’autres. Des signes, des indices indiquent qu’il se passe quelque chose. Il faut donc supposer avant de voir. Des bruits, souvent, précèdent l’apparition. Un costume de disques laser porté par la danseuse fait un cliquetis à l’autre bout du lieu. Des pétards explosent et laissent imaginer le déplacement de la danseuse. Les lumières s’en mêlent. Effet stroboscopique insistant et agressif. Que voit-on dans l’éclair ? Le dos d’un spectateur, dont la forme se fige un instant. Certes. Mais, surtout, la permanence sur la rétine du mouvement de la danseuse déjà passée, et dont l’œil retient la brève apparition dans un décalage temporel.
Tout signifie. Tout fait sens. Le spectacle est la mise en acte d’une recherche épistémologique. Mais une spectatrice a manifesté son mécontentement au milieu des applaudissements. Est-ce à dire que la danse qui s’interroge n’est quelquefois plus la danse ? Ainsi, toujours la vieille rengaine du « Moi aussi, je peux faire du Picasso » versus l’art intellectualisé jouant d’un réseau de significations. La danse veut, comme tout l’art contemporain, s’affirmer matière à penser. ¶
Fatima Miloudi
Spendeur inespérée, de Germana Civera
Artistes associés : Didier Aschour, Roberto Fratini, Lipi Hernández, Frédéric Nauczyciel, Caty Olive
Régie : Rémi Jabveneau
Voix : Sheila Hind
Musique additionnelle : Kirkman’s Ladies / Rational Harmonies in Three Voices (extraits), Tom Johnson
Réalisation vêtement : Florence Perril
Administration : Isabelle Durany / Médiane, Juliane Brémont
Production, diffusion : Alice Normand
Production : Association Inesperada / Germana Civera
Coproduction : Festival Montpellier danse 2010, 3 bis f lieu pour l’art contemporain (Aix-en-Provence)
Studio Bagouet / Agora • 18, rue Sainte-Ursule • C.S. 39520 • 34961 Montpellier cedex 2
Réservations : 04 67 60 83 60
Samedi 19 juin et dimanche 20 juin à 20 heures
Durée : 1 heure
22 € | 15 €
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