Happé, ému, ébloui
Par Victorien Robert
Les Trois Coups.com
Étonnant endroit que ce chapiteau d’Adrienne, planté au pied des tours de la porte de Clignancourt, qui abrite actuellement « Une iliade », un spectacle précieux, dernière réalisation de la compagnie Deux temps trois mouvements. Voilà un lieu hors du temps pour une histoire qui a, quant à elle, traversé les années et semble vouloir indéfiniment se répéter.
L’histoire, justement, on la connaît. C’est celle des Achéens attaquant la ville de Troie pour récupérer Hélène, la femme de Ménélas volée par Pâris, prince troyen. C’est celle d’Achille, héros humilié, qui renoue avec la violence en tuant Hector et en traînant son corps pendant douze longues journées sous les remparts de la ville. C’est enfin celle du destin de ces hommes, qui semble irrémédiablement s’abattre sur eux, quand tout concourait pourtant à leur garantir un bonheur sans bornes. Voilà ce que nous ont appris nos professeurs d’école du formidable récit poétique rapporté par Homère.
Prenant à contrepied ces idées trop bien reçues, Hassane Kassi Kouyaté a mis en scène une iliade donnant, pour une fois, la parole aux femmes, ces femmes maudites pour lesquelles se battent les hommes, mais qui n’ont jamais rien souhaité d’autre qu’une paix durable. Pendant le siège de Troie, elles n’ont d’ailleurs de cesse de répéter leur incompréhension face à cette violence gratuite dans laquelle s’embourbent leurs maris. Elles se rouleraient presque à même le sol pour les empêcher de partir au combat, pour que le sang cesse de couler. Mais hélas, il faut irrémédiablement que ce satané honneur s’exprime à tout prix par la voix de la vengeance. Par conséquent, ce ne sont pas les dieux qui nous ont condamnés, mais bien notre libre arbitre, et l’histoire des guerres ne manque pas de se répéter au cours des siècles.
Crier l’incompréhension
Pour rendre compte de la portée universelle de ce mythe, la scénographie revient aux origines du théâtre. Là où la scène est une place de village animée par des conteurs et des chœurs. On vient précisément nous raconter une histoire dans un espace rapidement délimité par quelques branchages, et ce, de toutes les façons possibles : en parlant, en jouant, en chantant, en dansant. Ce sont le corps et la voix réunis qui viennent nous crier l’incompréhension face à la violence et l’espoir d’une fraternité retrouvée.
On dénombre d’ailleurs, parmi les comédiens et musiciens d’Une iliade, une dizaine de nationalités différentes, et le plaisir est grand, pour le spectateur que j’étais, de voir se conjuguer ainsi ces multiples talents venus d’horizons si divers. C’est peut-être aussi le message qu’ils nous envoient malgré eux, celui d’une différence assumée et qui opère à merveille. Je suis happé dans l’intrigue par le conte passionnant d’Aïni Iften, ému par la rencontre de Pierre Rosat et Emmanuel Dorand qui interprètent Achille et Priam et nous livrent un ultime message de paix, ébloui par la voix stupéfiante d’Amanda Cepero Rodriguez : la compagnie Deux temps trois mouvements m’aura décidément tout fait !
Sous ce chapiteau balayé par les vents, Une Iliade a trouvé un lieu idéal pour nous confier le trouble dans lequel elle reconnaît être encore autant d’actualité. Un chuchotement que l’on voudrait pourtant crier au monde entier en revenant peu à peu aux lumières si communes de la ville. Le 31 octobre 2009, le spectacle quittera le chapiteau d’Adrienne pour s’échapper en tournée à travers le monde avant de nous revenir à Avignon en juillet 2010. ¶
Victorien Robert
Une iliade, de René Zahnd, d’après Homère
Compagnie Deux temps trois mouvements • 14, boulevard de la Chapelle • Boîte 95 • 75018 Paris
06 75 14 13 81
Mise en scène : Hassane Kassi Kouyaté
Assistante à la mise en scène : Amandine Brylinsky
Avec : Aïni Iften, Sabine Pakora, Amanda Cepero Rodriguez, Lætitia Favart, François Moïse Bamba, Dramane Dembele, Zani Diabate, Emmanuel Dorand, Julien Favart, Pierre Rosat, Saintrick Beno Sanvee
Création et réalisation costumes : Anuncia Blas
Univers sonore : Stéphane Gombert
Lumières : Cyril Mulon
Chapiteau d’Adrienne • 62, rue René-Binet • 75018 Paris
Réservations : 01 43 31 80 69
Du 6 au 31 octobre à 20 h 30, dimanche à 16 heures, relâche le lundi
Durée : 1 h 55
15 € | 10 € | 3 €