Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.
Les Trois Coups. — Le Japon suscite aujourd’hui un engouement particulier en France,
il me semble. Surtout, du point de vue des images avec les mangas et le cinéma. Kitano, Miyazaki sont connus d’un large public. Nombreux sont friands de cette culture, notamment la jeunesse.
Comment expliquez-vous cet engouement ? Est-ce un effet de mode et d’exotisme contemporain ? Qu’est-ce qui attire ?
Franck Stofer. — Les influences entre le Japon et la France datent d’un siècle. D’abord, la peinture, l’art visuel, la littérature… Le cinéma, cela fait vingt-trente ans que les gens voient ça à la télévision. Dès qu’on est enfant, on voit les dessins animés japonais. Alors, c’est quelque chose qui vient naturellement. C’est peut-être aussi parce que la politique culturelle du Japon va dans ce sens. En tout cas, pour ce qui est des dessins animés et des mangas. Ça fonctionne très bien en France. Il y a un marché. Du coup, nous, on part dans une autre direction. On montre quelque chose que l’on voit moins souvent en France, moins souvent en Europe. C’est une création plus proche des gens, plus proche de ce qui se passe réellement à Tokyo. Si vous venez à Tokyo la semaine prochaine et que vous y passez deux semaines, si vous êtes intéressée par la musique et la danse et si vous êtes bien conseillée, vous verrez sûrement une partie de la programmation qui va se dérouler pendant le festival. Effectivement, il y a un engouement, pas seulement en France, mais dans toute l’Europe. On est sur un créneau qui n’est pas assez exploité, pas assez mis en avant. C’est important de montrer une autre vision.
Les Trois Coups. — Qu’est-ce qui vous a conduit à la culture japonaise ? Pourriez-vous me raconter votre parcours ?
Franck Stofer. — Des rencontres ! Au fond de moi, avant la musique et avant le Japon, il y a une volonté d’échanges culturels. J’ai fait des études de management culturel. Je me suis orienté au départ sur l’Europe de l’Est. Et c’est en République tchèque que j’ai rencontré un musicien dont j’étais fan, que j’avais vu à Bordeaux en 1995, Tatsuya Yoshida. Il jouait dans un groupe qui s’appelait Les Ruins, et qui est programmé la semaine prochaine. On a sympathisé. J’ai commencé à monter des tournées pour lui en France. Après, il y a eu une autre rencontre avec un journaliste parisien, Jérôme Schmidt, qui dirige l’Inculte, une revue littéraire. On a eu le projet d’écrire un bouquin sur la musique japonaise. J’ai dû me plonger dedans. C’était un moment où j’allais aussi au Japon. C’était il y a dix ans. J’ai découvert un grand nombre de musiciens, d’artistes et de labels, et je trouvais ça dingue, car c’était quelque chose que je ne connaissais pas du tout. J’écoutais beaucoup de musique qui venait de San Francisco ou de New York et je me suis demandé pourquoi on n’avait pas de retour sur ce qui se passait au Japon. Du coup, j’ai plongé là-dedans. Il n’y a donc pas au départ de passion ou de fantasme du Japon. Je ne suis pas forcément un fan de mangas. Ce qui m’intéressait, c’était rencontrer des musiciens, partager avec eux… On a publié le bouquin sur la musique japonaise en 2001, lequel est devenu une référence mondiale, une sorte de dictionnaire. Puis, j’ai déménagé à Tokyo en 2003 pour être plus proche des artistes et voir ce qui les anime.
Les Trois Coups. — Vous avez intitulé la biennale « L’Expérience japonaise » Pourquoi ? Est-ce pour sortir d’une certaine idée fantasmée du Japon ? Pour rendre réelle et présente cette culture ? Est-ce aussi pour cela que vous privilégiez la musique et la danse ? Parce qu’elle permet l’immédiateté ?
François Noël. — D’abord, c’est une programmation extrêmement pointue. Pour une grande part, c’est une sorte d’expérience de s’engager comme spectateur dans une affaire comme ça parce qu’il faut avoir un peu l’esprit d’aventure pour entrer dans cette programmation. « L’Expérience japonaise », je ne sais pas trop comment c’est venu. Ça a semblé approprié parce que, effectivement, ce festival est un terrain d’expériences, pour nous qui travaillons sur le projet, pour le public et pour les artistes. Nîmes est une ville assez étrange. Je me souviens d’une remarque d’un des artistes de la précédente Expérience qui disait qu’il avait l’impression d’être dans un parc d’attractions à Nîmes.
Les Trois Coups. — Par rapport à la première biennale, quelles sont les constantes et les différences ?
François Noël. — Les constantes, c’est l’expérience artistique, la recherche avant-gardiste. Pour les différences… cette biennale est un peu plus grand public. La première était vraiment très pointue. Celle-ci le reste, mais s’y ajoutent des zones plus accessibles pour une partie du public.
Les Trois Coups. — Avez-vous été en accord complet sur la
programmation ?
Franck Stofer. — J’ai une sorte de carte blanche. Je suis comme un avant-pont à Tokyo. Je vois énormément de spectacles et de concerts. La première édition était surtout axée sur le réseau que j’avais, via le label Sonore. Donc plus de musiques expérimentales. Et puis, L’Expérience 2007 m’a ouvert sur d’autres choses. Voir la réaction du public et sa composition, de 12-14 ans à 60-70 ans, c’était vraiment très large. Donc, on a ouvert davantage la programmation sur quelque chose qui pouvait coller ici. On fait un travail d’équipe. J’envoie mes propositions à Jean-Alain Sidi. Quelquefois, il me calme. Je suis parfois enthousiasmé par des choses vraiment étranges et curieuses qui ne conviendraient pas du tout à Nîmes. Ensuite, on soumet le choix au Théâtre. J’essaie de faire quelque chose de varié, mais il faut que cela reste le plus possible cohérent. Il faut voir l’espace dans lequel on va le faire et… si ça entre dans le budget.
François Noël. — Oui, pour la cohérence, il faut voir ce que ça raconte par rapport à la semaine, par rapport au fait que ce soit ici, à Nîmes, et pas ailleurs. C’est tout notre travail de programmation habituel.
Les Trois Coups. — Une des raisons du succès des artistes japonais ne tiendrait-elle pas au fait qu’ils sont capables d’intégrer des cultures diverses tout en conservant leur identité ?
Franck Stofer. — Il y a des va-et-vient constants entre le Japon et l’Occident. Des moments d’ouverture, des moments de réaction et de fermeture aussi contre les influences occidentales. Dans les années 1970, il y a eu, par exemple, un retour vers leurs propres racines. Mais ce n’est pas vraiment conscient de vouloir faire des choses japonaises. Par ailleurs, les Japonais, et pas seulement dans la musique, peut-être parce qu’ils se sentent loin, isolés, portent un réel intérêt à la culture occidentale. Ils absorbent. Je pense que c’est le seul pays qui intègre de manière volontaire les cultures étrangères. Pas par le fait de guerre ou de conflits. Ils ont naturellement une ouverture sur le monde. Ils ont un côté idiosyncrasique. Ils mêlent ce que nous n’oserions pas mélanger comme Tokyo Panorama Mambo Boys, du mambo et de la musique électronique ! Eux, ils le font de manière assez simple et volontaire.
François Noël. — Assez décomplexée, je dirais. Ils n’ont pas ce complexe de respect que nous avons en Occident. Eux, ils triturent. C’est le cas avec Mambo Boys.
Les Trois Coups. — Quelle évolution souhaitez-vous donner à L’Expérience japonaise ? Le choix de la période scolaire n’est-il pas un frein ? D’où vient-on pour assister à la biennale ?
François Noël. — Le public hors de celui qui est local vient puisque nous avons des réservations de toute la France. Plus sur le week-end, évidemment. Il y en a aussi qui viennent de l’Europe du Nord. Certains prennent des vacances pour venir à la biennale. La période scolaire, ce n’est pas vraiment un problème. De plus, la région est surchargée d’évènements durant la période estivale. On a l’avantage de pouvoir se démarquer et justement d’être plus présent pas seulement sur la ville mais aussi à l’extérieur. C’est un peu comme le Festival de flamenco. Le public vient de toute l’Europe.
Les Trois Coups. — François Noël, vous êtes le nouveau directeur du Théâtre de Nîmes, quelle orientation allez-vous donner à la prochaine saison ?
François Noël. — Elle sera résolument comme les précédentes. J’ai quand même beaucoup œuvré les années passées. Ça ne va pas changer beaucoup. En tout cas, ce qui est certain, c’est que les écritures contemporaines sont toujours l’axe principal de la saison. Bien évidemment, je ne vais pas oublier les classiques puisque c’est le seul grand théâtre de la ville. Donc, on va rencontrer Molière mais aussi Wolfgang Mitterer. Je suis très soucieux de l’art d’aujourd’hui. Donc, on va rester dans cette ligne. ¶
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