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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

Entretien avec Olivier Dhénin, metteur en scène de « Ricercare », suite

Entretien avec Olivier Dhénin, suite

 

Les Trois Coups : Combien de temps vous a pris la réflexion et la conception de ce spectacle ? De l’idée à l’écriture jusqu’à la création scénique ?

Olivier Dhénin : Le titre, je l’avais depuis très longtemps. Je voulais écrire une pièce qui s’appellerait Ricercare, qui serait montée en contrepoint avec des retours dans le passé. Reprendre les archétypes de la tragédie grecque – les unités de temps, lieu et action – pour mieux les déformer, puisque dans la tragédie il n’y a pas de retour dans le passé. Et puis j’ai lu ce fait-divers assez étonnant dans un article du Monde en 2006, où un enfant s’était retourné contre son père pour une histoire de Playstation… Dans la pièce, on est vraiment très loin de tout ça, et il ne reste plus rien de ce fait-divers. Le fait-divers en lui-même ne perdure que dans l’idée du parricide et quelques microdétails, comme la présence de la sœur au moment du meurtre. Puis, au printemps dernier, j’ai écrit un premier jet, assez vite, en quelques semaines. Je l’ai ensuite donné en version workshop à Rochefort à la bibliothèque de l’École de médecine navale. Cela m’a permis de retravailler le texte pour la création à Paris, avec une distribution quelque peu modifiée.


Les Trois Coups : La plupart de vos précédents spectacles tournent autour du thème de la mort. D’où vient cette fascination de la mort ?

Olivier Dhénin : Je ne sais pas si on peut appeler ça une fascination, c’est plutôt une question de la mort, une intrigue. Je pense que c’est un très bon moyen de l’aborder puisqu’elle est la finalité de notre vie. J’ai beaucoup travaillé sur Maeterlinck, qui pose des questions très justes à ce sujet. Lui expliquait que c’est ce vers quoi tend toute notre vie et qu’au lieu de l’occulter, il faut justement, l’appréhender, la prévoir et non pas se mettre des œillères devant les yeux. En la mettant en scène, on pourrait dire que je tente de l’atteindre sans pour autant la rencontrer. L’apothéose de mon travail sur la mort fut mon dernier spectacle : Kindertoten Schauspiel. Un vaste spectacle lyrique qui traitait de la vie et de la mort des enfants, composé d’une pièce inédite de Rainer Maria Rilke, les Orphelins, et de la Mort de Tintagiles de Maeterlinck. Au sein de ce diptyque s’entremêlaient des lieder de Schubert et Mahler, ainsi que des poèmes écrits en 1943 par Nelly Sachs lorsqu’elle fuyait l’Allemagne nazie. Ce sont des poèmes très douloureux, très poignants, sur la disparition, sur le deuil, sur l’espoir avorté de la vie.


Les Trois Coups : Ce travail sur la mort est pour vous une manière d’affronter le deuil, d’aider les gens à traverser un deuil ? De leur donner des clés ? Quelle est la volonté profonde de votre démarche ?

Olivier Dhénin : Affronter un deuil, oui, le sublimer. Comment se placer par rapport à cette mort qui arrive à un moment donné – on ne sait pas lequel – et qui donne toute sa valeur à la vie ? Dans Ricercare, la mort est présente de façon détournée pour mes personnages : ils ont vécu un deuil sans en parler et sans faire tout le travail nécessaire à son acceptation. Essentiellement tournés vers le souvenir, ils apparaissent presque tchékhoviens, n’agissant en rien et n’ayant aucune vision sur l’avenir. Dix années se sont écoulées pour que, enfin, l’un d’entre eux aborde cette question de la mort passée. Et dix ans de silence, de souffrance, quand on finit par s’expliquer, par agir, ça ne peut pas se passer dans la douceur.


Les Trois Coups : Votre objectif est donc de rendre le deuil « vivant » ?

Olivier Dhénin : J’ai été plusieurs fois confronté à la mort de proches, donc c’est une manière de la rendre acceptable. Il n’y a rien de plus injuste que la mort. C’est toujours injuste au moment où ça arrive : on ne la prépare pas. Ce travail est un moyen de la dépasser, de la rendre presque douce. L’année dernière, j’ai travaillé un très beau texte de Mallarmé, le Tombeau d’Anatole, où le poète parle de la mort de son fils. C’est un recueil assez bouleversant, car on y voit Mallarmé passer par toutes ces étapes du souvenir, du deuil, de la douleur, du rejet et de l’acceptation. Cette lecture m’a permis d’avancer, d’acquérir un autre regard sur la vie.


Les Trois Coups : J’ai vu, dans la liste des œuvres sur lesquelles vous vous êtes fondé pour le travail de votre pièce, qu’il n’y avait pas les Frères Karamazov de Dostoïevski. Or c’est un livre qui aborde également le thème du parricide.

Olivier Dhénin : J’y ai forcément pensé. Mais on n’était plus dans la même veine. Chez les Karamazov, on est vraiment dans le roman russe avec tous ces sentiments qui regorgent. Dans Ricercare, il n’y a pas ces sentiments, tout le monde est très secret, tout est dans le non-dit. Ils vivent dans ce souvenir, qu’ils ont sublimé ou fantasmé, mais ils n’avancent pas, ils ne se parlent pas. Il n’y a pas de mutisme entre eux, mais disons qu’ils parlent toujours à la mauvaise personne. Jamais ils ne vont réussir à communiquer les uns avec les autres.


Les Trois Coups : C’est intéressant ce thème de la communication, cette difficulté à s’adresser à une personne et de lui dire ce qu’il faut, au moment où il faut…

Olivier Dhénin : C’est pour ça que dans la pièce il y a quatre tableaux. Et chaque tableau est vu par l’un des personnages : Sophian, le personnage principal, sa sœur Mahaut, leur père Manoël, et enfin Émilien, leur demi-frère aveugle. Ainsi, au début de cet ultime tableau, l’enfant est-il dans un rêve : il voit sa maman. Puis, on entend le coup de feu du meurtre. Il se réveille, il ouvre les yeux, mais, comme il est aveugle, il ne peut rien voir. C’est pour cela qu’il y a toute une partie de la pièce qui se passe dans le noir. Le spectateur, comme le personnage, entend juste des voix. Il comprend l’état d’Émilien, qui ne réalise pas encore ce qui est arrivé.

 

 

Les Trois Coups : J’ai l’impression en vous écoutant que ce qui est essentiel, ce sur quoi est fondée votre pièce, c’est la communication. Cette difficulté que l’on a de communiquer, cette impossibilité de dire les choses, de s’adresser directement à la bonne personne, avec toutes les conséquences que cette difficulté entraîne. La mort, le deuil, oui, ce sont des thèmes importants, mais finalement secondaires ? Le thème central, c’est…

Olivier Dhénin : C’est l’enfermement psychologique et psychique des membres d’une même famille réunie dans la douleur. Un peu comme dans les films de Zviaguintsev : dans le Retour et le Bannissement, on a ces mêmes rapports d’âmes perdues dans le silence et le secret. Je pense à ce que Gogol appelle « les âmes mortes ». Mais, au final, si j’ai occulté le romanesque russe de mon champ littéraire, je ne peux dénier la part d’inspiration que m’apportent les cinéastes russes tels que Tarkovski, Sokourov et Zviaguintsev.


Les Trois Coups : Je remarque que dans tous vos spectacles, la musique a toujours une place importante.

Olivier Dhénin : Oui, je baigne dedans depuis que je suis tout petit. En fait, j’ai commencé par la musique, en faisant des études de piano au conservatoire d’Amiens. Mais j’ai toujours eu cette envie de relier ces différentes formes artistiques : musique, théâtre, danse, arts plastiques, et le théâtre est vraiment la forme qui le permet. Mon écriture étant très musicale parce que ancrée dans une veine poétique, elle appelle une autre musique qui ne soit pas humaine. Elle s’inscrit dans une démarche esthétique, dans cette volonté de créer quelque chose de beau tout simplement. Je travaille beaucoup sur la polyphonie des voix avec mes comédiens – que ce soit sur mes textes ou sur ceux d’autres auteurs, tels que Yeats, Shakespeare, Yourcenar, ou des poèmes de Philippe Jaccottet. Ce qui se dégage de ces textes, c’est cette musicalité de la phrase, du mot.


Les Trois Coups : Comment se passe le travail avec les comédiens et les musiciens ?

Olivier Dhénin : Au début, je laisse très libres les comédiens pour qu’ils entrent vraiment dans leurs personnages, pour qu’ils proposent. Il y a un vrai rapport de confiance qui s’instaure, car une fois que j’ai choisi les comédiens, j’estime qu’ils sont faits pour le rôle. La principale difficulté dans mon texte est son interprétation. Mon écriture étant très littéraire, la surinterprétation entraîne le pathos, et la distanciation une froideur incompréhensible. La frontière est très mince, aussi est-ce difficile. On est presque dans le non-jeu. Avec les comédiens, on a absolument cherché à mettre en relief tous les côtés insouciants du texte, pour rendre la pièce moins triste qu’elle ne peut le paraître à la lecture. Dans ma direction d’acteur, j’ai ainsi essayé de faire ressortir tous ces côtés du quotidien : ce sont des adolescents avec leur père, qui sont à la campagne en été. C’est une situation des plus simples. Mais eux sont bloqués dans leurs souvenirs. Voilà pourquoi je parle d’enfermement psychologique. On aurait pu faire tendre la pièce vers quelque chose d’encore plus tragique – car c’est une tragédie contemporaine. Mais en appuyant sur tous les ressorts tragiques de la pièce, on serait tombé dans une noirceur écrasante, et je ne voulais pas prendre en otage le spectateur. C’est à ça que sert également la musique. Les musiciens sont un peu comme les choreutes de la tragédie, c’est-à-dire qu’ils commentent l’action. La musique n’agit pas directement sur l’action comme une musique de scène. Dans Ricercare, la musique s’intercale entre les tableaux, comme une prémonition. Elle n’est pas là simplement pour illustrer ou surligner ce qui vient de se dérouler. Tel le coryphée, elle dialogue, non pas avec les acteurs, mais avec les spectateurs, lui faisant comprendre ce que les personnages sont incapables d’entendre.


Les Trois Coups : Comment s’est passée l’audition de l’enfant, qui a 8 ans dans la pièce ? Et comment se passe le travail avec lui ?

Olivier Dhénin : C’est un garçon de douze ans qui joue le rôle d’Émilien et avec lequel j’avais déjà travaillé. C’est très dur pour lui parce qu’il joue un aveugle, ce qu’il n’est pas. C’est évidemment compliqué, d’un point de vue corporel, d’un point de vue regard. Il doit perdre tous ses repères habituels pour être complètement vierge de cette sensation de vision. C’est un véritable travail sensoriel pour développer l’ouie et le toucher comme chez un aveugle. Et puis, comme il poursuit un cursus scolaire normal, cela rend ses séances de travail assez compliquées. Mais il est très intelligent et a une excellente compréhension du texte et de ses enjeux.


Les Trois Coups : Que voudriez-vous ajouter pour convaincre les gens de venir voir votre pièce ?

Olivier Dhénin : Tout mon travail se situe sur cette frontière entre la vie et la mort, le rêve et la réalité, sur une corde sensible. La pièce ne parle pas de la mort. La mort est un épiphénomène. Ce qui se dégage de tout ça, malgré ces évènements durs et parfois tristes qui ont lieu sur le plateau, c’est une douce mélancolie. Comme la vie peut parfois l’être.


Propos recueillis par

Hélène Merlin

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com


Ricercare, drame d’Olivier Dhénin

Production Winterreise Compagnie

Avec la participation artistique du Jeune Théâtre national

Administration : 01 48 04 54 61 | Claire Lavabre 06 98 08 12 13

Chargée de diffusion : Virginie Demeulemester 06 69 74 24 11

www.winterreise.fr

Mise en scène et scénographie : Olivier Dhénin

Musique de scène : Jacques Boisgallais

Avec :

– Comédiens :

Jérémie Bédrune, Marjorie Hertzog, Mathieu Lagane, Hélène Liber, Augustin Mahé, Julia Riggs, Gilles Toutirais

– Musiciens :

Violaine Darmon, violon ; Adeliya Chamrina, alto ; Marie Girbal, violoncelle ; Arnaud Falipou, euphonium ; Marina Moth, clarinette

Décors et collaboration artistique pour la scénographie : Camille Brulard

Lumières : Guillaume Pons

Costumes : Magali Lapoulle

Design sonore : Aurélien Goulet

Accompagnement chorégraphique : Nina Pavlista

Centre Wallonie-Bruxelles • 46, rue Quincampoix • 75004 Paris

Métro Rambuteau (11), Les Halles (4), Hôtel-de-Ville (1)

R.E.R. Châtelet (A, B)

Le vendredi 6 février 2009 à 20 h 30, le samedi 7 février 2009 à 15 heures (suivie d’une rencontre) et 20 h 30, et le mardi 10 février 2009 à 20 h 30

Réservations dès maintenant : Marie de Vienne, chargée des relations avec le public

mariedevienne@winterreise.fr

ou par téléphone au 01 48 04 54 61

Durée : 1 h 30

15 € | 10 €

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