« Ma destinée
S’achève à l’aube.
Blême tocsin ;
La maison flambe.
Une putain
Sauve les meubles
Du sommeil
En s’étirant.
Soleil de cendres.
Voici la vie :
Un cri d’enfant
Dans les étages,
Du lait, du pain. »
Les poètes de « la Revue des archers » au Tabou café
Il arrive qu’il faille commencer par la fin pour mieux faire retour sur un récit.
Ici, dans ce nº 20, c’est en quatrième de couverture qu’on lira ce texte, écrit par Toursky (1917-1970), poète qui vécut et mourut à Marseille, avec cette part d’étrangeté intrinsèque, si présente dans cette ville, Toursky dont le nom a été choisi pour abriter le théâtre, fondé et dirigé par Richard Martin.
Le poème de Toursky brûle comme un petit matin. Il dit à la fois la prise fatale des instants et ce que les mots arrivent parfois à « sauver » de la catastrophe de la chair.
La Revue des archers porte cette empreinte-là depuis dix ans maintenant. Elle n’a cessé de décliner l’imminence de disparaître et, dans le même temps, elle avance, elle reprend, elle rallume. Égarée et voluptueuse, lourde du poids des douleurs et retrouvant du souffle, à chaque fois, elle est aussi bien cette putain extravagante qui « sauve mes meubles du sommeil en s’étirant » que ce passant apte à recevoir « un cri d’enfant dans les étages ».
Cette livraison du nº 20 ne fait pas exception à la manière instinctive qui caractérise la revue depuis sa création. En préambule, Richard Martin rend hommage au « soulèvement d’espérance » qui se déroule au sud de la Méditerranée, en ce printemps 2011, puis il salue Patrick Coussot, après Antoine Tudal, « paradiste parti en balade ». Henri-Fédéric Blanc, dans son édito, en appelle, quant à lui, à ceux qui s’autorisent à vivre, face aux « dévoués du roi Zéro qui envahissent le monde ». Le ton est donné : tendresse et rébellion. Ainsi, entendra-t-on la ferveur de voix algériennes amies (Teric Boucebci, Mohamed al-Magout, Hamid Tibouchi) qui croient à la nécessité de dire, au temps des bouleversements à l’œuvre ou attendus : « j’espère demain ».
Pensées provocantes
Mais le numéro porte aussi son éclectisme, si particulier, qui déroutera certains, puisque non seulement les voix alternent, poèmes graves et elliptiques, aphorismes scrutateurs, récits immergés dans la fantaisie, pensées provocantes, mais aussi parce que les auteurs réguliers de la revue, eux-mêmes, se font entendre dans des formes qu’ils pratiquent rarement ailleurs. Ainsi lira-t-on Jacques Lovichi prendre tribune pour Europe, la Phénicienne, Yves Broussard témoigner de son regard personnel sur l’insaisissable poète Christian Gabriel/le Guez Ricord, Françoise Donadieu risquer « Les zaventures de Zavatar, le hasard ». On découvrira aussi un groupe de poètes chinois appartenant à plusieurs générations, entre révolution culturelle et dissidence, choisis par Jean Poncet.
La Revue des archers se situe sans doute « à part » dans le paysage des écritures d’aujourd’hui. Appuyée sur une scène de théâtre, le Toursky à Marseille, qui croit à la parole vivante, à la fécondité populaire de la création, au croisement des gestes artistiques, elle se veut vivier de tonicité, conjuguant la variété des flèches du carquois et les ruades au certifié conforme de notre temps. Elle croit que la colère a autant besoin de mots pour desserrer l’étreinte que l’imagination, folle du logis, pour s’aventurer.
On lui reprochera sûrement son manque d’inclination à fréquenter l’extrême contemporain, sa réserve à affirmer de façon lapidaire des choix formels. On trouvera qu’elle accueille des textes d’inégale densité, et qu’elle brouille ainsi les pistes d’homogénéité pour le lecteur. Toutes ces réserves méritent d’être entendues. La vie d’une revue est toujours renouvellement de risques et d’exigences.
Voix rebelles, étonnées et rieuses
Mais ce parti pris improbable de voix rebelles, étonnées et rieuses, il faut aussi savoir le prendre à pleines mains. Parce que tel le double d’Axel Toursky dont la destinée s’achève à l’aube, ce n’est pas si courant, en ces temps âpres et durs à l’âme, de pouvoir dire avec des mots qui se refusent à mentir : voici la vie.
Les poètes Archers ont eu l’occasion de présenter récemment les nos 19 et 20 de la revue à travers deux rencontres-lectures, d’abord le 12 mai 2011 à La Ciotat au Cercle de la renaissance, avec la librairie Poivre d’âne, où un public nombreux a pu partager les textes et les voix, celles notamment de trois poètes algériens venus pour la circonstance faire entendre leur ardent désir que « le destin ne gifle plus ». C’est ensuite au nouveau Tabou café, à Marseille le 17 mai 2011, que les Archers, épaulés par l’association des Amis de Richard Martin, ont pu faire connaître la revue et ses fusées insolites, ses textes inpubliables ailleurs où la liberté d’écrire, façon Marseille, n’a pas fini de se trouver un creuset tonique. Car comme le rappelle Henri-Frédéric Blanc, « au fond du bruit, il faut trouver le pas ».
Dominique Sorrente
Recueilli par
Les Trois Coups
www.lestroiscoups.com
La Revue des archers est publiée par les éditions Titanic-Toursky
• 16, promenade Léo-Ferré • 13003 Marseille
Les nos 19 et 20 sont disponibles au tarif de 18 €
Abonnement : France 30 €, étranger 35 €
revuedesarchers@gmail.com