Plus de treize heures de théâtre sur quatre DVD. Est-ce une folie théâtrale de plus ? Mis à part le fait que la folie paraît indissociable du génie, il y a des folies qui s’imposent, car elles sont sur terre le purgatoire ouvrant la voie vers autre chose. « J’aime l’humour qui enflamme les choses, de sorte qu’après coup je dois aider à éteindre le feu » a dit un jour Jan Fabre. En fait, Fabre prend ici une purge et par suite le spectateur en prend une aussi.
Quand il entame avec ses compagnons de route son premier projet théâtral, Théâtre écrit avec un « k » est matou flamand, il est déjà un fin connaisseur de l’histoire du théâtre. D’un revers de la main, il jette tout ce qu’il n’admet plus et réinvente son propre alphabet. Il commence à se faire la main et à structurer ses matériaux : surtout la parole, la musique et le mouvement des acteurs, trois éléments qui s’ajoutent aux images dont il est coutumier. On sent que cette aventure est entreprise pour durer. Il veut savoir où il en est concernant le théâtre, afin de le conquérir définitivement.
Trois œuvres de théâtre dans la vie de Jan Fabre. Trois pièces très diverses créées au début des années quatre-vingt, soigneusement éditées avec les textes retranscrits après la création des spectacles (ici en français et en anglais). Il ne s’agit pas de sténogrammes, ce sont des partitions qui montrent à quel point leur caractère est spectaculairement théâtral.
Recueilli par
Vincent Cambier
Les Trois Coups
www.lestroiscoups.com
Orgie de la tolérance
Conception, mise en scène, chorégraphie et scénographie : Jan fabre
Spectacle en anglais surtitré en français
Création 2009, nouvelle version
Textes : Jan Fabre, en collaboration avec les performeurs
Dramaturgie : Miet Martens
Avec : Linda Adami, Christian Bakalov, Katarina Bistrovic-Darvas, Annabelle Chambon, Cédric Charron, Ivana Jozic, Goran Navojec, Antony Rizzi, Kasper Vandenberghe
Musique, paroles : Dag Taeldeman
Lumière : Jan Dekeyser, Jan Fabre
Costumes : Andrea Kränzlin, Jan Fabre
Prothèses : Denise Castermans
Cour du lycée Saint-Joseph
Les 9, 10, 11, 12, 13 et 15 juillet 2009 à 22 heures
Durée : 1 h 45
27 € | 21 € | 13 €
Production : Troubleyn | Jan Fabre (Anvers)
Coproduction : Santiago a Mil festival international de théâtre de Santiago, Peak Performances @ Montclair State University, Tanzhaus (Düsseldorf), deSingel (Anvers), Théâtre de la Ville-Paris, Festival Romaeuropa (Rome), Festival de Dubrovnik
Avec le soutien des Autorités flamandes
« Puisque nous avons trop de tout, trop de confort, d’images, de sons, de bouffe, de sexe, comme trop de misère, d’émotions ou de bons sentiments, Jan Fabre a voulu se situer exactement là où ça déborde, recueillant les excès pour en faire des formes elles-mêmes excessives. Et puisque tout se recycle de plus en plus vite, y compris le plaisir, les idées, la révolution ou encore la subversion, sa nouvelle création s’installe au cœur de ce qui bouge, de ce qui communique, pour faire circuler les signes encore plus rapidement, avec une énergie destructrice phénoménale, jusqu’à la farce, jusqu’au non-sens. L’orgie du titre, c’est l’extase, l’orgasme de la consommation : se faire plaisir, parfois littéralement, en tenant sa place dans la licence, l’outrance et la dépense, de préférence avec beaucoup de zéros. La tolérance ? C’est se demander si quelque chose, aujourd’hui, peut encore choquer : sommes-nous prêts à tout accepter ? Notre société est à la fois extrêmement précautionneuse dans certains domaines, mais finalement immensément tolérante pour la plupart des autres. Ce qui permet à Jan Fabre, et à ses neuf performeurs, de déployer sur scène un rire violent qui contamine tout et ne respecte rien. Orgie de la tolérance propose en effet une série de rituels mettant à mal notre siècle fraîchement éclos. Les corps y sont régulièrement pris de réflexes animaux, mais des animaux acheteurs, mis en compétition devant les produits dont ils ont besoin, comme soumis à une dépendance incontrôlable. Et quand, au contraire, ils s’alanguissent et se reposent, c’est pour mieux sombrer dans la cérémonie des sofas, ces indices confortables du bien-être intime, où nous nous déposons délicatement afin de regarder la télévision – et faire entrer la violence, la barbarie –, où nous discutons sans fin entre amis d’un ton las et sentencieux, souvent pour tromper l’ennui, parfois pour dire des horreurs en toute bonne conscience. Il y a de l’Ubu dans ce spectacle qui oscille entre la farce et les Monty Python, entre le cabaret brechtien et le happening dévastateur. Comme si un complot absurde, mais néanmoins rigoureux, pouvait permettre d’appuyer toujours plus fort sur l’accélérateur et précipiter joyeusement le monde dans le mur. »
ADB