Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.
Par Les Trois Coups
Accro au Velvet Underground
Par Bénédicte Soula
Les Trois Coups.com
« L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,
Allonge l’illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l’âme au delà de sa capacité. »
Charles Baudelaire, les Paradis artificiels.
Théâtre musical ou concert théâtral, « Addict », de la compagnie Théâtre Folavril, est un objet créatif non identifié. Du bon rock joué en direct accompagne un récit à la fois poétique et narratif. Le tout sublimé plastiquement par des références pop art. Stupéfiant.
« Addict » | © Patrice Nin
D’abord, Sister Morphine, tube des Rolling Stones sur des paroles de Marianne Faithfull, est injecté dans l’espace théâtral. Comme ça. En lever de rideau, on se prend de plein fouet la plainte des grattes, la palpitation de la batterie et la voix gravement suave d’un type. L’effet est immédiat. On se retrouve quelque part dans les années soixante dans les quartiers interlopes de la Grosse Pomme. Pas loin de la Factory et de son cortège pas piqué des vers de légendes underground. Le producteur Andy Warhol et ses agapes légendaires… Lou Reed, Sterling Morrison, John Cale, Moe Tucker, Nico… Le son du Velvet Underground succède à celui des Stones, pénètre insidieusement notre psychisme. Les premiers signes du manque sont là : on en veut encore… Héroïn, I’m Waiting for the Man… Planant.
En même temps que le son, des abstractions polychromes sont projetées sur un écran de cinéma. Puis, lorsque tout s’arrête, éclatent ronds et sonores les mots d’un homme. C’est un junkie, Victor Martin, qui, pendant une heure et demie, va slamer dans la langue de Baudelaire (mais aussi de Villon et de Cocteau) sa lente descente aux enfers. « Paradis artificiels. Goût de l’infini. » C’est beau à écouter et hard à entendre. De temps en temps, ses soliloques sont interrompus par la musique ; le plus souvent, ils s’y superposent. Les mots de Lou Reed, traduits, disent en français ce que le rock dit en langage universel.
De la taule à la clinique
Parfois aussi, quelques saynètes (rares instants de « vrai » théâtre) tentent une narration, conduisant Victor de la taule à la clinique, comme Ulysse de Charybde en Scylla. C’est aussi le prétexte à un peu d’humour à travers quelques personnages, certes désincarnés comme dans un roman d’Hervé Guibert, mais porteurs de quelques saillies amusantes. Il y a Jésus, dont la conception reste un mystère puisque ses géniteurs étaient « défoncés » au moment crucial, et qui, bien entendu, est capable de marcher sur l’eau après une petite injection. Il y a Vincent, ancien drogué qui a ouvert un centre de désintoxication. Il y a « Baby », l’amour de Victor, qui fait sporadiquement quelques apparitions. Ces moments donnent l’occasion aux musiciens de jouer un peu la comédie avant de reprendre leur place derrière les instruments, tandis qu’Antoine Bersoux, interprète magistral d’un Victor possédé, taquine le violon aussi superbement que l’opiomane Sherlock Holmes.
Pendant ce temps, des sérigraphies et des images d’archives continuent de défiler sur les stores vénitiens. Pendant ce temps, des synthés rappellent quelques informations historiques sur la drogue et ses usages. Et dissuadent décidément d’« accrocher » un jour. Et puis vient le dernier son, et le speed s’arrête. Pour Victor, c’est le dernier shoot avant de crever comme un chien dans les sanisettes. Pour le public, c’est le retour au réel. Il a vécu un bon trip au rock psyché, à la poésie et au pop art, une expérience qui « remplit l’âme au-delà de sa capacité » disait Baudelaire. Bref, un instant jubilatoire et sans danger. ¶
Bénédicte Soula
Addict
Théâtre Folavril • rue Croix-Rose • 31670 Labège
05 34 30 92 71
Mise en scène : Patrick Séraudie
Assistance à la dramaturgie : Catherine Zambon
Avec : Antoine Bersoux, Olivier Brousse, Christophe Delmond, Didier Le Gouic
Création costumes : Noémie Le Tilly
Création lumière et images : Joël Abriac
Sonorisation : Sylvain Lafourcade
Graphisme : Pascale Taullier
Diffusion : Audrey Gautron | 06 32 25 89 23
M.J.C. Roguet Saint-Cyprien • 9, rue de Gascogne • 31000 Toulouse
Réservations : 05 61 77 26 00
Du 23 au 27 novembre 2010 à 20 h 30
Durée : 1 h 20
11 € | 8 €
Eclipse Next 2019 - Hébergé par Overblog