Albert Ayler et McCoy Tyner, deux rééditions (critique), collection « 2-on-1 » chez Impulse ! / Universal Music Group

15.12.2011

Une collection historique,
à plus d’un titre

Par Jean-François Picaut

Les Trois Coups.com

Cinquante ans, déjà ! Pour fêter dignement son cinquantenaire, le label Impulse ! propose une nouvelle collection, « 2-on-1 », qui regroupe par paires une sélection d’albums puisés dans son prestigieux catalogue.

albert-ayler-300 John Coltrane, Charles Mingus, Sonny Rollins, Archie Shepp, Keith Jarrett, Duke Ellington, etc., tous ces artistes et d’autres, parmi les plus innovants du jazz, ont gravé quelques albums mémorables sous le label Impulse ! Pour son 50^e anniversaire, celui-ci propose une collection de 15 C.D. regroupant par deux certains d’entre eux, soigneusement remasterisés. Nous parlerons ici des C.D. consacrés au McCoy Tyner Trio ainsi qu’à Albert Ayler, les autres sélectionnés sont Ahmad Jamal, Alice Coltrane, Art Blakey, Curtis Fuller, Duke Ellington, Elvin Jones, Coleman Hawkins, Milt Jackson, Sonny Rollins, Shirley Scott Trio, Pharoah Sanders, Gabor Szabo et Archie Shepp. Gain de place à une époque où l’espace est rare donc cher, plaisir de retrouver à l’état neuf (et même mieux) de vieilles galettes usées par une trop longue écoute, prix abordable, voici une initiative heureuse. Tient-elle toutes ses promesses ?

Love Cry et The Last Album d’Albert Ayler : ça décoiffe toujours

Les deux disques retenus pour cette sorte de compilation appartiennent à la demi-douzaine enregistrés sous le label Impulse ! entre 1966 et 1969. Ayler (1936-1970) avait été introduit dans ce label progressiste par Coltrane.

Les six premiers morceaux de Love Cry (Impulse ! 1967) ont été enregistrés à peine plus d’un mois après les funérailles de Coltrane (21 juillet 1967) et les deux derniers, six mois plus tard. Albert Ayler a composé toutes les pièces de ce disque. Il y joue du saxophone alto et du ténor, il chante dans Love Cry et dans Universal Indians. Il est accompagné de son frère Donald (trompette), Call Cobs (clavecin), Alan Silva (contrebasse) et Milford Graves (batterie). On y retrouve avec plaisir le style inimitable, et honni des bien-pensants, d’Albert Ayler. Love Cry, le titre éponyme du disque, a des accents de fanfare, ici plutôt une fanfare de chasse, style que l’on retrouvera dans d’autres morceaux. Et le saxo comme la voix d’Albert Ayler imitent aussi le yodel autrichien ou suisse, comme dans Universal Indians. La joute entre le saxophoniste et son trompettiste de frère au début de Bells évoque, elle, la polyphonie de certaines fanfares. Love Flower, outre une utilisation intéressante du clavecin, est une bonne illustration du célèbre vibrato d’Ayler. Silva et Graves se chargent d’instaurer le climat et pas seulement d’assurer la rythmique. Le disque comporte aussi le mythique Ghosts, sorte de manifeste du free jazz selon Ayler.

The Last Album (Impulse ! 1969) ne fut pas le dernier disque d’Ayler, qui y joue de différentes cornemuses dans Untitled Duet. Tous les titres ont été composés par Mary Parks qui, sous le nom de Mary Maria, se partage la partie vocale avec Albert, dont elle l’était l’amie. Le reste du personnel se compose de Bobby Few (piano), Henry Vestine (guitare, venu du groupe Canned Heat, l’auteur du fameux On the Road Again), Bill Folwell et Stafford James (contrebasses) et Muhammad Ali (percussions). Sous l’influence de Mary Maria Parks, le disque s’éloigne un peu du style free typique d’Albert Ayler et semble faire retour vers des influences r&b et hippies, même si All Love, par exemple, est plus dans la lignée free. Ce C.D., sans montrer toutes les facettes d’Albert Ayler, est une bonne introduction pour ceux qui ne le connaissent pas et l’occasion de le réentendre dans d’excellentes conditions pour les amateurs. Traditionalistes s’abstenir.

Inception et Reaching Fourth par le McCoy Tyner Trio : une source toujours féconde

Inception (1962) et Reaching Fourth (1963) datent tous deux de l’époque où le jeune McCoy Tyner (né en 1938) participait aussi au quartette mythique de Coltrane avec Jimmy Garrison (contrebasse) et Elvin Jones (batterie).

Pour Inception, dont Tyner dit lui-même dans un entretien avec Laurent de Wilde qu’il est le « premier album qui [lui] a permis de [s’]exprimer au piano », le jeune maître est entouré d’Art Davis (contrebasse) et d’Elvin Jones (batterie). De Reaching Fourth, son quatrième album comme leader (tiens, comme c’est bizarre !), le critique américain Scott Yanow disait en 1998 que, trente-cinq ans plus tard, il restait digne qu’on s’en souvienne et tout à fait d’actualité. On peut en dire autant aujourd’hui. Tyner y est accompagné par Henry Grimes (contrebasse) et Roy Haynes (batterie). Ce C.D. constitue une belle illustration de ce que furent les débuts d’un style très personnel dont Laurent de Wilde (un connaisseur) dit qu’il a « apporté au piano-jazz moderne une contribution absolument unique ».

On ne peut que se féliciter du parti pris de cette collection, « 2-on-1 », de reproduire à l’identique les pochettes de l’époque : c’est un témoignage historique et esthétique à la fois. Il faut bien constater cependant que la mise à l’échelle d’un C.D. rend les textes difficilement lisibles, sinon avec une loupe. La chose est particulièrement sensible quand ils sont imprimés sur fond gris comme pour The Last Album. On regrettera aussi qu’il n’y ait pas la moindre traduction pour le public francophone.

La réussite, en revanche, est totale sur le plan sonore et musical. La remasterisation a permis un rendu particulièrement équilibré et clair. C’est un vrai régal pour des oreilles mélomanes. ¶

Jean-François Picaut

Love Cry et The Last Album, d’Albert Ayler

Inception et Reaching Fourth par le McCoy Tyner Trio

Deux C.D. dans une nouvelle collection qui en comprend 15

« 2-on-1 » est produit par Impulse !