Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.
Par Les Trois Coups
Perdus dans le désert
de l’image
Par Laura Plas
Les Trois Coups.com
Amarillo.– 1. Ville américaine. 2. Pièce de la troupe mexicaine Lineas de sombra sur ce rêve américain qui pousse chaque année d’innombrables Mexicains à passer la frontière au risque de leur vie. Un spectacle formellement impressionnant, mais qui, pour ne pas céder à la facilité, nous laisse de l’autre côté du mur : perplexes, voire un peu vides.
« Amarillo » | © http://blendaimage.com
On ne peut les dénombrer : ceux qui ont réussi à passer, mais aussi ceux qui ont échoué et puis ceux qui ne sont jamais revenus, les disparus. Et le Mexique perd ses hommes, son sang. « Amarillo » évoque à sa manière, c’est-à-dire en mêlant vidéo et interprétation mais sans raconter, cette catastrophe. La pièce parle des vivants, mais surtout des morts dont il ne reste que l’image, la trace.
La scène est écrasée par un mur qui en barre le fond et nous enferme du côté mexicain. Sur ce mur de la honte, gris et massif, sont sans cesse projetées des images captées en direct. Le mur devient ainsi une page sur laquelle le rêve vient s’échouer. Car on a beau se jeter contre, parvenir à s’y suspendre, l’effort est vain. Jamais on ne passe de l’autre côté. Au contraire, le mur semble manger les corps. Sur sa surface, ils s’aplatissent, s’abolissent. Ne reste qu’un motif (celui de la Crucifixion), qu’une trace.
Conserver la trace des disparus
« Trace », « empreinte ». Ce sont sûrement des mots clés. Le spectacle s’ouvre avec des coupures de presse qui nous montrent des visages de disparus, et c’est un moment fort. Ensuite, les objets envahissent le plateau. Presque pas d’hommes, mais des objets qui leur ont servi quand ils ont tenté le passage. Des bidons d’eau, des sacs en plastique avec de la nourriture. Ils pendent par dizaines des cintres, ils saturent la scène et soulignent l’absence de leurs propriétaires. Absence en creux du plein : symbole (au sens étymologique).
Conjointement, le dispositif cantonne souvent les artistes à être des manipulateurs, des réorganisateurs de l’espace et de l’image. Ils paraissent comme perdus au milieu de cette scénographie gigantesque. Comme un Mexicain dans le désert ? Si, un instant, l’un endosse un rôle, très vite, il l’abandonne comme une défroque. La narration est sans cesse déjouée, soit par l’exhibition de la théâtralité (je laisse ma place en frontal à un autre), soit par l’abandon du personnage ébauché (je m’en vais tourner la caméra…).
Le seul comédien qui reste d’ailleurs dans le champ de la fiction théâtrale, n’a pas d’identité pour le spectateur. Changeant de vêtements, il quitte en même temps son rôle (celui de migrant au pied du mur). Par ailleurs, même comme migrant, il n’est personne, car il assume le rôle de porte-parole. Il représente de fait tous les migrants, comme en attestent ses interminables énumérations : de noms, d’âges, d’origines.
Des déflagrations dans l’indifférence
Certes, on comprend la volonté que Lineas de sombra ressent de se démarquer d’un naturalisme ambiant au Mexique. Certes, il serait si facile d’arracher quelques larmes au spectateur que cela ne paraît pas forcément intéressant. Mais pourquoi la troupe, qui se réclame pourtant d’un théâtre physique et visuel, se départit-elle à ce point d’une partie de son programme ? C’est pourtant quand les acteurs jouent de leur corps que se produit dans la tête du spectateur une déflagration. On retiendra tous les moments où les comédiens désignent leurs centres vitaux dans une gestuelle abstraite et parlante à la fois. On se souviendra encore de ce moment où les femmes tournoient indéfiniment dans des robes aux couleurs gaies – toupies de tristesse –, de ceux où les interprètes se jettent contre le mur.
Si Amarillo abolit les frontières entres les arts avec une profonde maîtrise, il nous semble qu’en déstabilisant les spectateurs avec une multitude de signes, en sophistiquant à l’extrême l’image par précaution, les artistes prennent le risque de bâtir un mur entre eux et la salle. Entre le plateau et l’image immense, entre le son brouillé et le surtitre qui ne lui correspond pas, entre les deux parties du split-screen, l’œil volette, on doit sans cesse se concentrer.Combien de jeunes spectateurs avons-nous vus alors bâiller, détourner les yeux, bavarder ? Pourquoi faut-il qu’un mur sépare ceux-là, les moins préparés, de ce qu’ils voient ? ¶
Laura Plas
Amarillo, de Gabriel Contreras et du poème Mort de Harold Pinter
Teatro Linea de sombra • Lerdo de Tejada 29 – dep 2, esq.con Melchor Ocampo, col. del Carmen, Coyoacán • 04100 México D.F.
(01 55) 54 21 78 44
Site de la compagnie : www.teatrolineadesombra.org
Courriels de la compagnie : dionisos64@gmail.com, dionisos30@hotmail.com
Mise en scène et interprétation : Raoul Mendoza, Alicia Laguna, Maria Luna, Vianey Salinas, Antigona Gonzales, Jesus Cuevas
Création lumière et dispositifs vidéo : Kay Pérez
Scénographie : Jésus Hernandez
Musique originale : Jorge Verdin, Clorofila
Voix, musique et samplers : Jesus Cuevas
Effets sonores : Rodrigo Espinosa
Mécanismes : Raoul Mendoza
Décor : Juana Ines Luna
Direction technique : Kay Perez
Le Monfort • 106, rue Brancion • 75015 Paris
Réservations : 01 56 08 33 88
Site du théâtre : www.lemonfort.fr
Du mardi 22 au samedi 26 novembre 2011 à 20 h 30
Durée : 1 heure
25 € | 16 €
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