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Par Les Trois Coups
Un Shakespeare
comme du champagne
Par Marie Barral
Les Trois Coups.com
La comédie de Shakespeare, « Beaucoup de bruit pour rien », contient tant et tout… De l’humour, des mots d’esprit, de la musique et de la poésie, une once de mélancolie, des questions sociales et de grands coups de théâtre, autant d’ingrédients que l’on retrouve sur la scène de La Tempête. La pièce s’y déguste comme un champagne !
« Beaucoup de bruit pour rien » | © Antonia Bozzi
C’est par des retrouvailles à Messine – en Sicile – entre les soldats victorieux et leurs familles que commence la pièce. Immédiatement, les cœurs s’échauffent : le prince Claudio tombe amoureux de la jolie Héro tandis que Béatrice et le chevalier Benedict, qui disent se détester, se battent à coups de mots. Dans cette joyeuse pagaille de bals et d’ambiance gaillarde, une âme reste grise et taciturne : Don Juan tentera de faire écrouler joies, plaisanteries et mariages… Cet homme qui semble agir sans raison aucune, si ce n’est par jalousie et méchanceté, est le diable. En bon sorcier, il est représenté dans un coin noir de la scène autour d’appareils d’alchimiste, de fioles et de poulies. Le frère de ce bâtard, Don Pedro, son exact contraire, joue Cupidon : il tire, en bon dieu, les fils de l’intrigue. Grâce à lui, Claudio et Héro sont rapidement promis l’un à l’autre, mais pour Benedict et Béatrice, il faut agir masqué, par intrigues…
Classée parmi les pièces comiques de Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien n’est pas du lot des premières comédies du dramaturge, faciles à ranger dans ce registre (comme la Mégère apprivoisée). Elle est de ces comédies dites romantiques, un peu plus tardives et plus fines, dans lesquelles le rire n’est plus si brut. S’y mêle de la romance, du tragique et un peu de la mélancolie. Comme dans le personnage de Béatrice, qui dit être née d’une mère en pleurs, mais sous une bonne étoile.
Dans sa mise en scène, Clément Poirée est fidèle à cette diversité shakespearienne. Les moments romantiques côtoient les scènes hilarantes et moqueuses. Benedict, l’homme d’esprit, est présenté lisant sur la cuvette des toilettes, tandis que les compères de la maréchaussée, grimés comme des personnages de la commedia dell’arte, s’emberlificotent dans leur vocabulaire, tels des Gad Elmaleh de la fin du xvie siècle.
De l’humour pétillant pour oublier l’absence de sacré
Le cadre doré qui entoure la scène, qui fait du plateau une suite de multiples tableaux picturaux, met le spectateur à distance : ce que vous voyez n’est que théâtre, qu’apparence, un léger divertissement. Cachant des visages d’amoureux ou de douces jeunes filles, les masques morbides arborés pendant le bal symbolisent eux aussi la question des « faux-semblants » qui traverse toute la pièce : n’est pas forcément mauvais celui que la société désigne comme tel, de même que n’est pas sans cœur l’homme qui se dit frigide, et la manipulation, pourtant condamnable, peut être salvatrice.
À l’intérieur de ce cadre, les tableaux s’enchaînent. Reliés entre eux par un beau refrain musical et des mouvements d’entrée et de sortie rapides, ils sont nourris d’un décor et de costumes illustratifs et surtout de bons jeux d’acteur. Ainsi, la femme de chambre de Héro, Margaret (Manon Combes), est très drôle avec son ton franc et son accent marseillais qui viennent casser le sérieux de ses maîtres. Quant à Béatrice et Benedict, ces personnages sympathiques qui font régner sur scène le bruit de leur esprit moqueur, ils sont joués par deux comédiens de grand talent (Alix Poisson et Bruno Blairet). Seul Don Pedro (Matthieu Marie) et Leonato (Jean-Claude Jay) dissonent, par leur sérieux. Dans le texte, Don Pedro est plus vieux que le soupirant Don Claudio, ce qui le laisse en dehors de la comédie de l’amour. Dans ce spectacle, par son visage et par sa voix chaude de jeune premier, il n’est pas crédible en entremetteur désintéressé. Quand à Leonato, ses changements d’humeur sont trop soudains, mal amenés.
Mais trop en parler serait faire beaucoup de bruit pour rien, le spectacle est de qualité, bourré de vie comme le texte l’est de métaphores plus ou moins farfelues. Les spectateurs, qui ont bien ri, en ressortent avec le sourire. Ici, Shakespeare est comme Molière : il réconcilie, après les avoir bien rudoyés, des hommes funambules marchant sur un fil entre l’angoisse du vide et la joie de vivre… Être ou ne pas être, telle n’est pas la question : l’absence du sacré et la pesanteur des apparences doivent nous soustraire à trop de gravité, jouissons donc ! Sur le plateau, le bar autour duquel se déroule une grande partie de l’intrigue (y compris les scènes les plus tragiques) évoque cette légèreté : nous sommes au café et ce spectacle est comme le champagne que l’on y sirote, pétillant et léger ! ¶
Marie Barral
Beaucoup de bruit pour rien, de William Shakespeare
Texte français de Jude Lucas
Compagnie Hypermobile
Site : http://compagniehypermobile.blogspot.com
Mise en scène : Clément Poirée
Assistance à la mise en scène : Clémence Laboureau
Scénographie : Erwan Creff
Avec : Suzanne Aubert, Bruno Blairet, François de Brauer, Eddie Chignara, Manon Combes, Jean-Claude Jay, Matthieu Marie, Laurent Ménoret, Alix Poisson, Julien Villa
Maquillage et coiffures : Pauline Bry
Costumes : Hanna Sjödin, assistée de Camille Lamy
Lumières : Maëlle Payonne
Musique : Stéphanie Gibert
Théâtre de la Tempête • la Cartoucherie • route du Champ-de-Manœuvre • 75012 Paris
Site du théâtre : www.la-tempete.fr
Réservations : 01 43 28 36 36
Du 11 novembre au 11 décembre 2011 à 20 heures, dimanche
à 16 heures, relâche le lundi
Durée : 2 h 15
18 € | 14 € | 10 €
Tournée :
– 1er et 2 juin 2012, au Shakespeare’s Globe, à Londres, dans le cadre du Globe to Globe Festival
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