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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

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« Bons cailloux de Crocassie », de Solen Imbeaud et Benjamin Ramón (critique), Aktéon Théâtre à Paris

Rien dans les poches,
tout en musique !


Par Laura Plas

Les Trois Coups.com


C’est une histoire d’ogres, une histoire de cailloux, de faim et de chemin à parcourir… Mais, non, ce n’est pas le Petit Poucet, c’est « Bons cailloux de Crocassie » : le périple en musique de deux ogres fort sympathiques sur les côtes d’Europe. C’est une petite fable qui parle vrai, toujours gaie et pleine de fantaisie malgré la gravité de son sujet. En somme, un joli spectacle entraînant, pour les petits et les grands, les dévoreurs de mots comme les croqueurs de notes.

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« Bons cailloux de Crocassie » | © Diane Hümmel

Depuis la nuit des temps, les contes sont là pour conjurer la peur, les sentiments tout noirs qui font naître les cauchemars. Alors, depuis la nuit des temps, ils nous relatent des histoires terribles où la faim tiraille les héros comme leurs adversaires : sorcières, indignes parents ou ogres terrifiants. En cela, Bons cailloux de Crocassie s’inscrit dans une tradition. C’est en effet la faim qui se trouve à l’origine des pérégrinations de ses deux héros, et pas une petite fringale ! Car, premier décalage comique, voici un conte dont deux ogres, sympathiques escogriffes, sont les héros. Petit pas de travers vers les personæ non gratæ des contes, et pas de géant vers le présent et les exclus bien réels de notre petite Europe.

De fait, nos deux ogres, ont des noms pas très de chez nous : Olaf et Gorak. Et puis ils viennent de Crocassie (drôle de nom aussi), un pays où on a l’idée saugrenue de manger des cailloux ! C’est d’ailleurs tout ce qu’il y a là-bas. Ajoutons qu’Olaf et Gorak viennent en bateau, planche à pain qui prend l’eau, et qu’ils veulent, fier culot, mettre le nez dans nos frigos. Mais Olaf et Gorak, à ce petit jeu, sont toujours perdants : passant par la case prison, ils sont inéluctablement renvoyés, parfois en avion, à la case départ. On dira peut-être que ce n’est pas très gai, et que les enfants ont bien le temps de découvrir la misère, quand ils auront grandi et auront un frigo bien rempli. On se trompe alors au moins sur un point : rien n’est plus allègre que Bons cailloux de Crocassie. Et ce, pour diverses raisons.

Y a de la joie dans les airs

D’abord et surtout, le spectacle se vit en musique. Or, ces musiques, très réussies, nous entraînent dans un voyage coloré avec ses tarentelles, musiques tsiganes, flamencos, avec ses instruments insolites : cornemuse, accordéon, toy piano (1). Il n’y a qu’à observer les enfants : même quand ils ne comprennent pas, ils battent le rythme et sont emportés. Et si tous ces airs ont une saveur particulière, ils sont gais. Ils donnent le la au spectacle, car ils sont si présents que l’on peut se demander si on écoute un concert narrativisé, ou un conte en musique. Quoi qu’il en soit, la qualité de la composition et de l’interprétation s’impose.

Ensuite, la réalité est transfigurée. Ainsi, par la magie de l’écriture, les menottes deviennent des bracelets, et la reconduite à la frontière prend des allures de promenade. On nous parle bien d’Italie, de France, d’Espagne, mais les exilés, eux, viennent de Zéphyrie (où ils ne mangeaient que du vent), ou de Tristanie (où ils étaient tristes et vivaient dans la peur). Le réel est donc contaminé par l’imaginaire, ou transposé. Par ailleurs, grâce à la magie du conte, nos deux ogres mangeurs de cailloux peuvent dévorer les murs d’une prison et prendre la poudre d’escampette. En fait, seuls ceux qui sont assez grands comprennent l’ancrage réel. Ce d’autant plus que le spectacle opère sur des ellipses : souvent, on retrouve les deux ogres en Crocassie sans avoir évoqué les conditions de leur retour.

Enfin, la pièce fait rire. La dérision a le dernier mot quand les deux ogres sont dans une mauvaise passe. Par exemple, à la fin, ils se résignent à faire une « pierrade », c’est-à-dire un festin de pierres. La misère n’est jamais misérabiliste. Les déboires s’enchaînent tant que l’on songe plutôt au pícaro (2). Par ailleurs, Olaf et Gorak sont de grands enfants dissimulés dans des corps imposants et patauds, voulant manger avec les doigts et chevaucher (ou manger) des taureaux plutôt que de travailler.

Comment peut-on être crocassien ?

On s’enhardirait même à penser que chez les interprètes, Solen Imbeaud et Benjamin Ramón, l’enfance n’est pas loin. Il y a en effet un plaisir du jeu évident dans certaines scènes : par exemple, quand Gorak se déguise pour interpréter Pimienta et cache ensuite son accessoire pour ne pas céder le rôle. En outre, le regard naïf et étranger des deux compagnons permet de prendre une distance amusée avec notre Europe : les ogres s’étonnent que l’on veuille manger avec des râteaux (entendez des fourchettes), qu’il faille payer (et non péter) pour manger, qu’en France « ce dont vous n’avez pas besoin, on vous en vendra plein ». Il y a de quoi rire et réfléchir. Alors, on passe sur les costumes un peu trop militaires, sur le décor pas beau, sur la lumière peu travaillée (à l’évidence, il n’y a pas que les ogres à souffrir de la pauvreté). Et on s’embarque. 

Laura Plas


1. Le piano jouet (en anglais toy piano) est un instrument de musique polyphonique à clavier de la famille des cordes frappées. Il ne comporte généralement qu’une octave de Do5 à Do6 ou de Do4 à Do5.

2. Un pícaro (mot espagnol signifiant « misérable », « futé ») est le héros d’un roman picaresque.


Bons cailloux de Crocassie, de Solen Imbeaud et Benjamin Ramón

Cie A.R.P.A. • 06 15 06 87 79

Courriel de la compagnie : sebastien.davis@gmail.com

Idée originale : Solen Imbeaud et Benjamin Ramón et Sébastien Davis

Mise en scène : Sébastien Davis

Chant, guitare, flûte, cornemuse, accordéon, toy piano : Solen Imbeaud

Chant, guitare, percussion, harmonica : Benjamin Ramón

Costumes : Melissa Leoni

Lumières : Denis Amar

Décor : Loïc Leroy

Aktéon Théâtre • 11 , rue du Général-Blaise • 75011 Paris

Site du théâtre : www.akteon.fr

Réservations : 01 43 38 74 62

Du 3 septembre au 6 novembre 2011, les mercredi, samedi, dimanche et tous les jours des vacances scolaires de la Toussaint à 14 h 30

Durée : 50 minutes

À partir de 5 ans

9 € | 8 € | 6 €

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