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Par Les Trois Coups
La banale folie du quotidien
Avec « Colère noire », le metteur en scène Gerold Schumann a adapté sur scène des textes de Brigitte Fontaine. Résultat ? Un récital poétique déjanté porté par une comédienne qui sied à merveille.
« Colère noire » | © D.R.
Interpréter les textes délirants de Brigitte Fontaine, voilà une entreprise délicate. C’est donc avec un brin de perplexité que l’on suit l’ouvreuse du théâtre nous mener au Paradis, la salle nichée au dernier étage du Lucernaire. Pendant que les spectateurs se serrent les uns contre les autres sur les banquettes, le musicien qui accompagne la comédienne traverse la pièce pour prendre place derrière son installation musicale. Le noir tombe enfin dans la salle. Emmanuelle Monteil met fin à la tranquillité anxieuse qui précède souvent l’ouverture d’un spectacle par une entrée fracassante. Faisant l’effet d’un boulet de canon, elle déverse sans transition ses tirades cyniques.
Avant d’aller plus loin, revenons quelques instants sur le personnage hors du commun de Brigitte Fontaine. Aujourd’hui âgée de 72 ans, elle accumule les talents de chanteuse, compositrice, comédienne, dramaturge et écrivain. Le tout, agrémenté d’un grain de folie et d’une langue bien pendue. « J’aime les rivières jaunes », « les frites me font pleurer » sont quelques-unes des phrases rencontrées dans ses textes. Avec la même désinvolture, elle est capable de déclarer : « Je n’aime pas les nouveau-nés trop entêtés à garder les yeux clos, il faut les leur ouvrir de force à coups d’rasoir ». Son credo : faire fi du politiquement correct et du qu’en-dira-t-on. Mais derrière cette extravagance se dresse une grande poétesse qui manie avec délicatesse la rime. Par amour des lettres, elle va jusqu’à créer la Symphonie pastorale, un texte entièrement conçu à partir des titres de grands classiques littéraires. Il fallait de l’audace pour s’emparer de l’univers loufoque de Brigitte Fontaine.
Quand une comédienne s’impose comme une évidence
Et de l’audace, Emmanuelle Monteil en a eu. Sobrement vêtue de noir, la comédienne déclame de sa voix rauque les différents textes extraits, entre autres, du Genre humain et du Bon Peuple de sang. D’un simple frottement du dos des mains, elle incarne une mouche en mal d’amour. Cette comptine absurde sur la rencontre entre un insecte, rejeté par les siens, et un détenu provoque une émotion des plus vives. Quelques secondes plus tard, la comédienne débite d’un ton innocent les pensées cruelles et sadiques de l’Inadaptée. En plus de trouver le ton juste, la comédienne parvient à donner corps à ces histoires métaphysiques. Tour à tour, elle personnifie le narcissisme, tourne en dérision la femme, se moque de la décadence.
Dans ce florilège d’histoires loufoques pétries d’humanisme, innocence et cruauté vont de pair. Au fond, ces textes sont le récit de la banale folie du quotidien. Racontés par Emmanuelle Monteil, ils deviennent drôles. Le décalage et le détachement pris par rapport au cynisme du texte créent un contraste amusant. Par contre, certains textes plus sombres peuvent paraître fastidieux. Néanmoins, on ne s’ennuie jamais.
Aux côtés de la comédienne, David Aubaile dégaine sa flûte traversière ou pianote sur son synthétiseur, selon les circonstances. Si le son participe à étoffer l’atmosphère, on se passerait volontiers des quelques solos qui lui sont accordés durant la pièce. Tandis qu’il compose, coincé derrière sa table, Emmanuelle Monteil accapare tout l’espace scénique jusqu’à frôler de son pas le premier rang des spectateurs. Elle vaque dans un décor quasiment dépouillé : quelques tentures illustrent la chute d’une goutte d’eau sur la gauche, un rideau noir est tiré dans le fond. L’univers imagé de Brigitte Fontaine ne nécessite de rien de plus.
De la colère, il y en a dans ce spectacle, mais de l’humour, de la dérision, de la provocation aussi. Loin de faire rire jaune, Colère noire est une pièce haute en couleur. ¶
Mathilde Penchinat
Les Trois Coups
Colère noire, de Brigitte Fontaine
Mise en scène : Gerold Schumann
Textes : Brigitte Fontaine
Avec : Emmanuelle Monteil et David Aubaile
Musique : David Aubaile
Scénographie : Christine Bouvier
Le Lucernaire • 53, rue Notre-Dame-des-Champs • 75006 Paris
Site du théâtre : www.lucernaire.fr
Réservations : 01 45 44 57 34
Du 22 février au 14 avril 2012 à 21 heures, relâche les dimanche et lundi
Durée : 1 heure
30 € | 25 € | 15 €
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