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Par Les Trois Coups
Combat grandiose
ou guerre froide ?
Par Sarah Bussy
Les Trois Coups.com
Le Théâtre de la Colline donne carte blanche au metteur en scène allemand Michael Thalheimer, qui monte la fameuse pièce de Koltès, créée en 1983 par Patrice Chéreau, « Combat de nègre et de chiens ». Une version pour le moins innovante, troublante aussi, mais qui, quelle qu’en soit l’appréciation qu’on en fait, ne laisse pas indifférent.
Michael Thalheimer l’a bien compris : « Pour un metteur en scène, mieux vaut peindre avec trois couleurs et en faire un tableau, que peindre avec trois cents couleurs et ne plus rien voir ». Trois couleurs, donc, mais des couleurs fortes, uniques, agressives parfois. Trois Blancs, confrontés au Noir, Alboury, qui est ici représenté par un chœur de dix comédiens, comme pour signifier qu’Alboury n’est pas l’homme noir, mais tout ce que les autres personnages projettent sur lui, tout ce qu’il y a dans leur tête. La peur. Quand Cal voit un Noir par exemple, il en voit mille, il tremble. C’est cette peur-là qu’a voulu dépeindre Koltès, au-delà d’une simple confrontation des Blancs à l’Afrique, dans un contexte de néocolonialisme. Et c’est ici une réussite : le chœur que constituent les dix comédiens est d’une puissance, physique et lyrique, effrayante.
La scénographie fait de chaque scène un tableau saisissant
Mais ce n’est pas tout, la scénographie choisie, élaborée avec talent par Olaf Altmann, est époustouflante. Un seul décor, entièrement gris : des passerelles, plus hautes en fond de scène et descendant en pente raide vers l’avant, créent un grand espace vide au milieu, un trou où l’on peut sans difficulté se dissimuler dans l’ombre. De vrais airs de chantier, donc, mais un chantier métallique, rigide, effrayant lui aussi. Cette scénographie fait non seulement de chaque scène un tableau saisissant, mais renforce en plus le sentiment de dureté, d’insécurité, et de peur. Quoi de plus logique alors que d’avoir des corps eux aussi arides et douloureux ? C’est en effet ce qui se dégage, de manière très évidemment volontaire, des personnages. Cal tout d’abord, interprété avec brio par Stefan Konarske, qui lui prête sa silhouette maigre et désarticulée, devient ici un jeune névrosé, constamment aux prises avec ses démons et ses peurs intérieurs et dont l’extrême nervosité lui fait adopter des comportements inquiétants. De fait, certaines scènes avec Léone peuvent déranger par leur crudité et leur mal-être exacerbé. Léone, ensuite, apparaît d’une pureté étincelante. Cécile Coustillac incarne avec tout autant de talent et avec un jeu mécanique voire chorégraphié, emprunt lui aussi d’une nervosité hystérique, cette jeune femme naïve, idéaliste, qui a suivi son « biquet » simplement parce qu’il lui avait proposé gentiment de venir assister à son dernier feu d’artifice. Dans ce bal des folies, le plus humain semble être Alboury (Jean-Baptiste Anoumon), l’Africain, qui pourtant cristallise les violences, de haine ou d’amour, des autres personnages.
Tout cela est beau mais froid, et loin
Seul bémol à cette grandiose démonstration scénique, pendant négatif de ses nombreux avantages : un épais, très épais, quatrième mur. On assiste à un merveilleux spectacle, on est bousculé, agressé, et on aime ça. Mais le choc est principalement visuel. On est dans la forme, une forme poussée à l’extrême, au fort parti pris de raideur, de froideur sombre. Michael Thalheimer montre plus qu’il ne fait ressentir. Et, de fait, tout cela est beau mais froid, et loin. Et il est finalement assez difficile de rentrer dans l’histoire, d’être touché par les personnages, ou même simplement d’y croire. À l’exception de Horn, le vieux chef de chantier, dont on accepte sans difficulté la simplicité rugueuse, composée par le tout aussi brillant que les autres, Charlie Nelson. Les prestations d’acteur et de metteur en scène impressionnantes n’en demeurent pas moins insaisissables, peut-être parce que trop machinales, trop parfaites, trop formelles. En d’autres termes, on a du mal à « rentrer dedans ». Si l’on va au théâtre pour vivre des histoires, alors cette nouvelle version du chef-d’œuvre de Koltès n’est sans doute pas le bon choix. En revanche, si l’on y va pour l’art scénique et dramatique en soi, alors elle est à l’évidence une réussite. Et même au-delà. ¶
Sarah Bussy
Combat de nègre et de chiens, de Bernard-Marie Koltès
Mise en scène : Michael Thalheimer
Assistante à la mise en scène : Sandrine Hutinet
Avec : Charlie Nelson, Jean-Baptiste Anoumon, Cécile Coustillac,
Stefan Konarske, et un chœur de dix comédiens
Dramaturgie : Anne-Françoise Benhamou
Scénographie : Olaf Altmann
Costumes : Katharine-Lea Tag
Musique : Bert Wrede
Théâtre de la Colline • 15, rue Malte-Brun • 75020 Paris
Réservations : 01 44 62 52 52
Du 26 mai au 25 juin 2010, du mercredi au samedi à 20 h 30, le mardi à 19 h 30 et le dimanche à 15 h 30
Durée : 2 h 15
27 € | 22 € | 19 € | 13 € (hors tarifs abonnés)
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