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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

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« Dans la solitude des champs de coton », de Bernard‑Marie Koltès (critique), Off d’Avignon 2012, Caserne de pompiers à Avignon

 En direct du Festival et du Off d’Avignon 2012

 

Cette lutte de deux
orgueilleuses solitudes


Par Fabrice Chêne

Les Trois Coups.com


Mise en scène sobre et efficace, interprétation subtile et puissante : n’hésitez pas à prendre le chemin de la Caserne des pompiers pour y voir l’une des réussites du Off 2012, « Dans la solitude des champs de coton », de Bernard‑Marie Koltès, par la compagnie La Tramédie.

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« Dans la solitude des champs de coton » | © D.R.

Monter les pièces de Koltès après Patrice Chéreau a toujours fait un peu peur aux metteurs en scène français, tant les mises en scène du second, qui remontent aux années 1980 et 1990, ont fait date et ont marqué les esprits. Heureuse initiative que celle de Marine Mane, près de deux décennies plus tard, de reprendre ce texte magnifique, et de donner ainsi l’occasion aux plus jeunes générations de découvrir l’une des pièces les plus fortes du répertoire contemporain. Œuvre exigeante, pleine de détours, à la fois labyrinthique et percutante, qui met au jour des émotions fondamentales, le désir ou la peur de l’autre, et dont la mise en scène de Marine Mane permet de saisir toute la profondeur et la subtilité.

Le point de départ de la pièce est des plus simples. Dans un espace urbain indéterminé, la nuit, un homme en arrête un autre : « Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir ». C’est le début d’une longue joute oratoire, ces deux personnages anonymes, le Dealer et le Client, s’affrontant au fil de tirades qui s’étirent en longueur, écrites dans une langue superbe. Le premier, sûr de lui, presse l’autre de nommer son désir, tandis que le second, réticent, refuse de se dévoiler et lui tient tête. Un dialogue riche en rebondissements, qui interroge la difficulté à « combler l’abîme du désir ». Dans cette lutte de deux orgueilleuses solitudes, qui l’emportera sur l’autre ?

Un jeu très physique

La scénographie imaginée par Marine Mane permet au public de ne pas perdre une miette de l’affrontement. La metteuse en scène a choisi en effet de placer les comédiens au centre de la salle, les spectateurs les entourant en quadrifrontal (Chéreau, lui, plaçait les spectateurs en bifrontal). Clément Bresson et Fabien Joubert, qui incarnent respectivement le Dealer et le Client, évoluent sur (et autour d’) une scène surélevée, noire, qui peut aussi bien évoquer un ring qu’un damier ou un échiquier. Par leur jeu très physique, il semble que les comédiens explorent toutes les relations possibles de leurs corps avec cet espace, chacun occupant à tour de rôle une position dominante. Ce dispositif leur permet également d’impliquer discrètement les spectateurs, comme pour les inciter à se questionner sur leurs propres attentes.

Les deux interprètes se montrent à la hauteur. Clément Bresson, vêtu d’un bizarre blouson de fourrure est « ce bandit trop étrange », inquiétant, magnétique, animal. Sa fausse humilité, sa violence rentrée, exercent un charme trouble. Fabien Joubert, quant à lui, joue magnifiquement un personnage énigmatique, d’abord en retrait puis se dévoilant et s’affirmant progressivement, faisant bientôt pencher le combat en sa faveur. On sent que la metteuse en scène a voulu souligner tout ce qui oppose ces deux personnages qui ne sont pas du même monde, et a particulièrement travaillé avec ses comédiens le jeu des regards, d’une étonnante intensité lorsque chacun écoute les tirades de l’autre.

La question du désir

Pour soutenir le dialogue, en même temps que pour ménager de brefs moments de pause, un batteur et un contrebassiste se font face, chacun à un angle du plateau carré. Même si les compositions ne s’apparentent pas à proprement parler à du jazz, le choix des instruments peut évoquer un New York que Koltès connaissait bien, ou faire écho au fait que le rôle du Dealer a été à l’origine prévu pour un comédien de couleur (Isaach de Bankolé lors de la création de la pièce). La partition musicale souligne (de façon parfois trop explicite ?) certains moments clefs du texte, comme la menace physique que fait planer le Dealer sur son interlocuteur, et contribue à accentuer la tension dramatique.

La question du désir – et d’un désir plus ou moins « illicite » – affleure sans cesse dans ce dialogue plein d’ambiguïté, cette rencontre pouvant aussi se lire comme une drague homosexuelle inaboutie. Cet aspect de la pièce est bien suggéré, en particulier à la fin, lorsque les corps se rapprochent et que les personnages sont sur le point d’en venir aux mains. Par ailleurs, si l’humour du texte est peu mis en avant et si la noirceur l’emporte, c’est que la mystérieuse relation qui s’instaure entre les deux protagonistes, et la personnalité même du Client incarné par Fabien Joubert, cette « vierge mélancolique », à la fois vulnérable et impressionnant de détermination et de dignité froide, sont perçus à chaque instant comme reflétant le pessimisme de Koltès concernant les rapports humains. 

Fabrice Chêne


Dans la solitude des champs de coton,
de Bernard‑Marie Koltès

Texte publié aux éditions de Minuit

Cie La Tramédie • 85, avenue Jean‑Jaurès • B.P. 39
• 51052 Reims cedex

www.latramedie.fr

Mise en scène : Marine Mane

Avec : Clément Bresson et Fabien Joubert

Scénographie : Bérangère Naulot

Costumes : Émilie Kayser

Lumières : Thomas Costerg

Création musicale : Uriel Barthélémi et Simon Drappier

Batterie : Yann Joussein

Contrebasse : Simon Drappier

Caserne des pompiers • 116, rue de la Carreterie • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 84 11 52

Du 7 au 26 juillet 2012 à 18 h 30, relâche les 13 et 20 juillet 2012

Durée : 1 h 10

15 € | 10 € | 5 €

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