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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

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« Dans la solitude des champs de coton », de Bernard-Marie Koltès (critique), Le Lucernaire à Paris

David Seigneur, beau vendeur de désir


Par Tiphaine Pocquet du Haut-Jussé

Les Trois Coups.com


Patrick Roldez reprend « Dans la solitude des champs de coton » de Bernard-Marie Koltès, dans une mise en scène sobre et maîtrisée. Déjà montée pour le Off du Festival d’Avignon en 2010, la pièce pourrait bien revenir sur Paris la saison prochaine. Espérons-le !

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« Dans la solitude des champs de coton »

Au théâtre tout est toujours affaire de troc. Et c’est l’histoire d’un troc. Un homme sur scène enlève son bonnet, sa couverture, s’installe dans un vieux fauteuil défoncé de cuir brun. Il joue avec des osselets, hurle à la lune parfois quand il voit un autre loup… pardon, un homme, approcher. Il a quelque chose à vendre, on ne sait pas quoi, ce que sa mallette vide pourrait contenir et un peu au-delà. Et puis l’autre qui tourne, s’approche, se détourne, mais revient toujours, comme un chien en laisse, sans jamais rien acheter.

Le manège se répète par trois fois et la pièce n’en finit plus de reproduire cet étrange échange. Peut-être parce que la nuit est brève et le désir sans fin. Entre chaque « deal », le vendeur est seul à nouveau et retrouve ses osselets. L’insertion de ces scènes muettes est une trouvaille de Patrick Roldez. Elles contribuent à créer une tension qui s’installe et ne quitte plus le spectateur. On croise, on décroise les jambes, on s’inquiète : comment tout cela peut-il finir ?…

La seule monnaie qui vaille sur la scène

Et ce qui s’échange finalement entre ces hommes, ce n’est pas grand-chose : des gestes menaçants, des caresses esquissées, des désirs indicibles, mais surtout des mots, la seule monnaie qui vaille sur la scène. Ils ont tous les deux besoin de l’autre, comme la lumière de l’ombre, le silence de la parole, le dealer du client.

Des grilles suspendues, quelques projecteurs, une sonorisation discrète, paille et tonneau rouillé sur le sol, on est au cœur du sujet : ces espaces de la marge qu’affectionne Koltès, à la frontière du jour, du civilisé, de l’humain. Les deux hommes déambulent entre les panneaux grillagés comme des animaux en cage, qu’ils sont au fond d’eux-mêmes. Parfois, ils heurtent le métal dont ils tirent un bruit métallique. Et puis, ô surprise, deviennent vraiment ces animaux et incarnent dans une pantomime hilarante chien, cheval, poule, serpent, tout le bestiaire qui fait la substance poétique de la pièce.

Ainsi, le rire allège un temps la tension, mais il masque mal l’angoisse pour le spectateur de voir ces hommes « faire la bête ». Ils pourraient bien s’étriper comme des chiens s’ils ne tenaient pas leur langue « comme un étalon par la bride ». Et cette langue qui rue prend toute son ampleur dans la bouche de nos deux comédiens.

Le clochard du crépuscule

Saluons en particulier la belle performance de David Seigneur, marchand tour à tour menaçant et envoûteur. Avec son physique de lutteur, il est le clochard du crépuscule, vendeur de désir, dealer ou philosophe de canapé en tentant d’extirper la vérité de son partenaire. Cette masse d’homme évolue sans difficulté dans la masse du texte koltésien. Dans les interminables tirades de Koltès, véritable gageure pour le comédien, il dessine lignes, courbes et sommets, au point que son partenaire Karim Hammiche semble reproduire le même phrasé au milieu de la représentation, subtile manière peut-être de révéler le renversement des rapports de force entre les personnages. Et Karim Hammiche, s’il est plus lent à nous convaincre au début, retrouve un peu de vigueur dans la deuxième partie.

Quelque chose passe dans la salle, et si vous étiez tenté de décrocher, errant encore au milieu de la dernière tirade, les hurlements à la lune de David Seigneur vous ramènent bien vite au drame de l’échange. Contre notre présence et notre malaise, c’est une langue de feu, un frisson de théâtre qui nous sont donnés. 

Tiphaine Pocquet du Haut-Jussé


Dans la solitude des champs de coton,
de Bernard-Marie Koltès

Éditions de minuit

Le Théâtre de l’Eau-qui-Dort

Courriel : proldez@yahoo.fr

Mise en scène : Patrick Roldez

Avec : Karim Hammiche et David Seigneur

Scénographie : Charlotte Maurel

Costumes : Emma Coiraton

Création lumière : Alexandre Dujardin, Benoît Torti

Musique : David Georgelin

Représentation exceptionnelle au Lucernaire le vendredi 4 mars 2011

Site du théâtre : http://www.lucernaire.fr

Réservations : 01 45 44 57 34

Durée : 1 h 10

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