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Par Les Trois Coups
Élégance, raffinement
et musicalité
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups.com
C’est à un moment rare de bonheur musical que nous a conviés Didier Levallet pour son passage à Jazz sous les pommiers 2014. Pour cela, il n’a pas hésité à marier son expérience et celle de son batteur avec le souffle frais d’un trio de talentueuses jeunes musiciennes.
Sylvaine Hélary | © Jean-François Picaut
Directeur de l’Orchestre national de jazz de 1997 à 2000, Didier Levallet (contrebasse) n’est pas homme à multiplier les enregistrements « parce qu’il faut le faire ». Après Songes, silences (Sans bruit, 2011, mais enregistré en 2006 !), il nous a livré Voix croisées (Frémeaux et associés, septembre 2013).
C’est de cet album empreint d’une grande délicatesse qu’est tirée la plus grande partie du programme de ce soir, au Théâtre municipal de Coutances (Manche).
On y retrouve, à côté de son complice de longue date, François Laizeau, l’excellente trompettiste Airelle Besson qu’il connaît bien, ainsi que les talentueuses Céline Bonacina (saxophone baryton et alto) et Sylvaine Hélary (flûtes). L’association de la jeunesse et de l’expérience donne un groupe comme on aimerait en entendre beaucoup.
Trois grandes dames
L’association des timbres de ces trois instruments à vent n’est pas commune. C’est néanmoins une parfaite réussite, et le premier titre du concert en apporte une preuve jamais démentie par la suite. Les trois soufflantes préludent dans Antigone’s choice, et c’est immédiatement un vrai moment de grâce d’une grande douceur. La première intervention très mélodique de la contrebasse s’inscrit dans ce climat avant d’accélérer la pulsation avec l’entrée de la batterie. Le premier solo d’Airelle Besson est marqué par la vélocité et ce son plein sans être saturé dont elle est coutumière. Traversée d’un temps immobile surprend par une introduction à la flûte qui délivre des sons graves incroyables. L’atmosphère inquiétante est entretenue par les cymbales et quelques notes égrenées à la contrebasse. Elle se confirme dans le solo de Céline Bonacina. C’est un solo volontaire, rapide, où elle alterne au baryton les notes très graves et des médiums, voire des aigus. Elle est très applaudie.
Candide commence par une ponctuation légère à la contrebasse et à la batterie, avant que le discours musical ne se mette peu à peu en place. Didier Levallet y effectue un travail de virtuose en pizzicato avec un court passage à l’archet. Le tutti des soufflantes est plutôt discordant et le solo final est assuré par Céline Bonacina à l’alto. Après cette pièce âpre, Alicia’s Walk est une oasis de douceur « dans un monde de brutes », comme dit Levallet. Les cinq musiciens y entrent à tour de rôle dans un climat apaisé. Le solo de Sylvaine Hélary baigne dans une suavité quasi élégiaque. Airelle Besson allège encore l’atmosphère par un son ténu, sifflé dans la trompette. Didier Levallet ne s’est pas trompé en choisissant ces trois grandes dames.
Le climat change radicalement avec Blue Berlin Tango, une pièce ancienne (d’avant la chute du mur de Berlin) qu’on trouve notamment sur l’album Eurydice (2004). L’antagonisme entre les deux genres du blues et du tango transpose la tension entre l’Est et l’Ouest, que symbolise la partition de Berlin. Le discours aux accents inquiétants des trois instruments à vent est comme ponctué de coups de boutoir par le phrasé haché, saccadé, agressif du saxophone baryton. Parallèlement à la contrebasse, François Laizeau accomplit un travail remarquable de finesse à la batterie.
Le jazz très écrit de Didier Levallet
Le retour à l’apaisement se fait dans la Suite en trois mouvements qui suit et dans le Dur désir de durer (titre emprunté à Éluard). Cette pièce mélodique est sans doute un bon exemple du jazz très écrit de Didier Levallet, ce qui ne l’empêche pas d’être très sensible. Ici, les harmonies sont particulièrement heureuses, les timbres sont parfaitement équilibrés et le dialogue entre les instruments, très fécond.
On retrouve le même mariage, très subtil, des timbres du saxophone, de la flûte et de la trompette, d’abord dans Inside Movements (Songes, silences) où Didier Levallet déploie toute la variété de son jeu et dans O.A.C. pour Ornette (Coleman), Albert (Ayler) et Cecil (Taylor). C’est un hommage à ces trois piliers du free jazz tiré du même album. Une fois encore, j’y ai été sensible à la beauté déchirante des trois instruments à vent.
À en juger par la réactivité du public et son enthousiasme, le jazz (contrairement à ce voudraient faire croire des prophètes autoproclamés) reste une musique bien vivante et attractive. C’est l’honneur de Jazz sous les pommiers de permettre à des musiciens comme Didier Levallet et ses complices d’en apporter la preuve en actes. ¶
Jean-François Picaut
Jazz sous les pommiers 2014, à Coutances (Manche)
33e édition
Du 24 au 31 mai 2014
Contact public : Jazz sous les pommiers • Les Unelles • B.P. 524 • 50205 Coutances cedex
Tél. 02 33 76 78 50 | télécopie 02 33 45 48 36
Site : http://www.jazzsouslespommiers.com
Courriel : jslp@jazzsouslespommiers.com
Billetterie : 02 33 76 78 68 (du lundi au samedi, et tous les jours pendant le festival)
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