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Par Les Trois Coups
Le fracas du monde
« Encor » de Catherine Diverrès nous jette au visage la solitude, les angoisses et les errements d’hommes et de femmes qui pourraient être nous. Créé en 2010 pour la Biennale de danse de Lyon, il entre avec fracas dans la programmation des Hivernales 2012 d’Avignon.
« Encor » | © D.R.
Ce qui est troublant, tout au long de la représentation, c’est de voir les danseurs évoluer dans leur bulle respective. Ils n’ont, jusqu’à la scène finale éprouvante, j’y reviendrai, pratiquement aucun contact physique entre eux, ne se voient pas, ne se touchent pas. Chacun est seul, avec ses phobies, ses tourments.
Et, tout comme ces hommes et ces femmes qui ne font que se croiser, les époques et les lieux s’entremêlent également. Des danseurs en tutu s’essayent sur un étrange Lac des cygnes, des marquises en crinoline et perruque se déplacent et tournoient comme les danseuses des coffres à musique de notre enfance. Référence au Japon également, au butô qui influence le travail de Catherine Diverrès depuis plusieurs années, symbolisé dans la marche lente, décomposée, d’une femme fardée de blanc, aux lèvres et au bouquet rouge sang.
Au cœur de la tempête
Rien n’est lisse dans Encor, le spectateur est sans repos. Les gestes des danseurs peuvent être d’une extrême lenteur dans un long silence sans aucune musique, ou au contraire saccadés, crispés, rythmés par des notes furieuses, et révèlent alors un stress, un mal-vivre palpable. Dans tous les cas, on n’est pas indifférent, c’est impossible. Et si le but était là, il est atteint.
Et au cœur de la tempête, des passages magiques comme la représentation du mythe d’Icare, où un danseur tente de prendre son envol avec des ailes lumineuses qu’il actionne en tournoyant comme un derviche. Belle aussi la marche d’une danseuse, dos au public, jusqu’au mur du fond, avec une lenteur et une grâce saisissantes. Mais l’ensemble est majoritairement dur : une femme au corps ensanglanté, mordue, déchirée pas des chiens hurlants, des danseurs secoués de spasmes ravageurs…
De rares scènes prêtent à sourire et rompent momentanément la tension, comme une nécessité pour nous laisser reprendre notre souffle : une allusion à Jésus marchant sur l’eau, et la prestation d’un travesti qui refait et rate maintes fois son entrée en scène sous les projecteurs.
Des corps nus, empilés
Le final est violent, dérangeant au possible : des corps nus, empilés. L’image est forte, on pense à la mort, à un charnier. Et lorsqu’un bras ou un buste se dégage peu à peu, la vie semble reprendre, mais elle est immédiatement entachée de sang, qui se propage d’un danseur à l’autre. Les gestes sont doux et désespérés au sein du groupe compact qui se transforme en une masse sanglante, gluante, grouillante comme des vers, et on passe d’une interprétation à une autre. Parmi toutes les images qui se sont imposées à moi, la plus forte était celle de fœtus, de la naissance ou de la renaissance du monde dans un éternel recommencement. Et le titre du spectacle, Encor, prend là tout son sens.
On est en fait partagé entre le plaisir d’assister à la prestation des danseurs, qui est d’un niveau très élevé, et le poids des images qui nous arrivent de plein fouet. Techniquement performants et totalement investis dans leurs personnages, les cinq danseurs (trois hommes et deux femmes) d’Encor sont époustouflants et d’une folle justesse.
Mais, dans le même temps, on est bousculé, interpellé violemment. On perçoit des bribes de messages, mais sans trouver toujours une réelle cohésion à l’ensemble. Il est évident que ce ballet est pensé, intellectualisé, bourré de références historiques, culturelles, qui peuvent nous échapper parfois. Il est évident aussi que Catherine Diverrès prend des risques, avance sur un fil fragile, et ses personnages semblent en danger permanent.
La stupéfaction a été ressentie fortement au final, où la moitié de la salle est restée figée, sous le choc encore des dernières images ; alors que l’autre moitié, inconditionnelle, applaudissait avec enthousiasme l’ensemble de l’œuvre. J’ai surpris et aimé, à la sortie, cette bribe de conversation entre deux femmes âgées, coquettes, devant moi. L’une évoquait sa difficulté à adhérer (mais sans agressivité aucune) et l’autre répondait instinctivement : « Moi, après ça, j’ai envie d’aller boire une bonne petite bière ! ». Peut-être est-ce la bonne réaction pour se ressaisir et laisser décanter lentement le tout ! ¶
Martine Rieffel
Les Trois Coups
Encor, de Catherine Diverrès
Chorégraphie : Catherine Diverrès
Interprétation : Carole Gomes, Isabelle Kürzi, Thierry Micouin, Rafael Pardillo, Emilio Urbina
Scénographie : Laurent Peduzzi
Musiques : Jean-Luc Guionnet, Seijiro Murayama, Marin Marais, Denis Gambiez, Michel Legrand (version originale de Bande à part de Jean-Luc Godard), Érik Satie/Denis Gambiez, J.-R. Duffer
Lumières : Pierre Gaillardot
Costumes : Cidalia da Costa, Elizabeth Cerqueira
Perruques et maquillage : Sophie Niesseron
Son : Denis Gambiez
Régie lumière : Éric Corlay
Directeur technique : Marc Labourguigne
Production : Association d’Octobre / compagnie Catherine-Diverrès
Coproduction : Biennale de danse de Lyon, Théâtre national de Chaillot, Charleroi danses
Avec le soutien du Centre national de la danse (résidence de recherche)
Site Les Hivernales : http://www.hivernales-avignon.com/
Salle Benoît-XII • 12, rue des Teinturiers • 84000 Avignon
Le 27 février 2012 à 20 h 30
Durée : 1 h 20
22 € | 12 €
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