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Sophie Alour, celle
que l’on n’encage pas…
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups.com
En marge de Jazz à Vienne, cet été, Sophie Alour confiait à quelques journalistes qu’elle travaillait à un programme où elle jouerait de la clarinette. Ce programme a désormais un nom, un très beau nom même : « Géographie des rêves ». « Les Trois Coups » ont rencontré la saxophoniste ténor, remarquable dans son « Opus 3 », pour mieux connaître ce nouveau projet qui se peaufine déjà dans les salles et les clubs.
Sophie Alour | © Jean-François Picaut
Les Trois Coups. — Dans votre nouveau projet, Sophie, vous jouez de la clarinette en si bémol et de la clarinette basse : comment faut-il interpréter ce retour à l’instrument de vos années d’apprentissage ?
Sophie Alour. — Il s’agit avant tout d’ajouter une nouvelle palette d’expression à celle que me fournit le saxophone. En matière de son et de texture, d’abord. De la même manière, j’ai cherché à exploiter toutes les variantes sonores que permettent les sourdines sur la trompette. Mais aussi en terme d’expressivité, car j’ai un rapport plus naïf avec la clarinette qu’avec le ténor, et ça change donc ma façon de composer. Par ailleurs, on retrouve cette quête d’innocence dans la simplicité feinte de certains morceaux ou dans la spontanéité de l’improvisation collective.
Les Trois Coups. — Ce que l’on entend donne pourtant l’impression d’être parfois très écrit, non ?
Sophie Alour. — Oui, certaines pièces sont même écrites de bout en bout. Quelques-unes, par la combinaison d’instruments et de sonorités, mais aussi par le rôle réduit de l’improvisation, évoquent de petits orchestres de chambre, et c’est ce que je cherchais.
Les Trois Coups. — C’est vrai qu’en pleine crise vous ne reculez pas devant un personnel plus nombreux. C’est de la provocation ?
Sophie Alour. — [Rires] C’est vous, Jean-François, qui faites de la provocation… Même en pleine crise, un quintette, ce n’est pas un orchestre symphonique !
Les Trois Coups. — Je vous l’accorde volontiers. [Rires] Présentez-nous, alors, ce nouveau groupe.
Sophie Alour. — Ce nouveau groupe comprend Yoann Loustalot (trompette et bugle), Nicolas Moreaux (contrebasse), Frédéric Pasqua (batterie) et Stéphan Carraci (vibraphone).
Les Trois Coups. — Ce ne sont pas des inconnus pour vous ?
Sophie Alour. — Il y a deux nouveaux venus dans ma galaxie, ce sont Frédéric Pasqua et Stéphan Carraci. Yoann Loustalot a déjà participé à plusieurs aventures musicales à mes côtés comme celle de Thad (2005) avec le Vintage Orchestra ou celle du groupe d’Alexandre Saada pour Be Where You Are (2007). Nicolas Moreaux, lui, est un compagnon de jeu depuis trois ans, et il a d’ailleurs signé une composition sur mon Opus 3 : Why People Always Laugh About Serious Things ?
Les Trois Coups. — Et comment avez-vous eu l’idée de réunir ces musiciens ?
Sophie Alour. — Cette nouvelle formation est en quelque sorte le fruit du hasard puisque c’est à l’occasion d’une session de travail sans objectif précis que se sont imposés, comme une évidence, la complicité et le plaisir de jouer ensemble. On a commencé à jouer et à improviser alors qu’on s’accordait, et ça s’est poursuivi pendant pratiquement toute la séance. Les questions habituelles : « Qu’est-ce qu’on joue ?, etc. » n’avaient plus cours, et ça m’a fait l’effet d’une révélation. C’était « The Team ».
Les Trois Coups. — Comment qualifieriez-vous la démarche de cet album ?
Sophie Alour. — J’y poursuis ma tentative de me libérer de moi-même et des conventions du genre. J’alterne des pièces composées avec des canevas libres qui permettent l’expression de chacun. J’essaye au maximum d’échapper au formatage en tout genre.
Les Trois Coups. — Ce qu’il nous a été donné d’entendre (et qui ne préjuge pas du résultat final, évidemment) se caractérise par une grande délicatesse. Le travail sur les timbres est très précis. La matière sonore est très fluide : chaque instrument est clairement audible, le plus souvent. La leader que vous êtes semble se fondre dans le groupe. L’ensemble dégage une impression d’intimité. C’est cela, la nouvelle Sophie Alour ?
Sophie Alour. — J’ai effectivement cherché à me fondre dans le groupe. Parce que mon expression passe par eux, au fond. Écrire pour eux et les laisser faire des solos est pour moi un mode d’expression. Faire des solos de saxophone n’est pas la seule manière d’exprimer les choses.
Les Trois Coups. — Vous dites que la Géographie des rêves est un manifeste. Les mots ont un sens. Dans l’histoire des arts, un manifeste suppose une rupture et propose une nouvelle esthétique. Quelle serait cette nouvelle esthétique ? Vous vous voyez en chef d’école ?
Sophie Alour. — Je ne me vois pas du tout en chef d’école ! ! ! Quelle horreur ! Quand je dis que la Géographie des rêves est un manifeste, c’est bien sûr en manière de provocation. Mais je pense vraiment que le rêve est la meilleure des résistances bienveillantes à opposer à cette société. Je le disais dans un sens un peu plus politique qu’esthétique finalement, mais les deux ne font qu’un bien sûr. L’art est politique. Donc, pour moi présenter une musique affranchie du formatage imposé par une société consumériste, c’est faire de la résistance !
Les Trois Coups. — Vous avez déjà trouvé le producteur et le distributeur pour ce nouvel album ?
Sophie Alour. — J’ai lancé les recherches !
Les Trois Coups. — Avis donc aux gens avisés ! Merci, Sophie Alour, pour ce long entretien. Nous attendons avec impatience la sortie de Géographie des rêves et nous invitons nos lecteurs à se rendre dans les salles où on peut déjà l’entendre.
Sophie Alour. — Merci à vous. Il ya déjà des dates arrêtées, et je serai sans doute aussi dans un des clubs de la rue des Lombards, à Paris, au printemps. ¶
Propos recueillis par
Jean-François Picaut
Géographie des rêves, un projet de Sophie Alour
Avec : Sophie Alour (clarinettes et saxophone), Yoann Loustalot (trompette et bugle), Nicolas Moreaux (contrebasse), Frédéric Pasqua (batterie) et Stéphan Carraci (vibraphone)
Prochaines dates :
– le 27 mars 2012 au Théâtre de Bourg-en-Bresse
– le 12 mai 2012 au Festival de Versailles
– le 24 mai 2012 à la mairie de Paris IVe