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Par Les Trois Coups
Procréation fantasmagorique…
Est-il possible de faire de la poésie théâtrale avec de la parole scientifique ? Il fallait trouver la bonne approche. Jean-François Peyret et son équipe l’ont inventée.
« Ex vivo/In vitro » | © Élisabeth Carecchio
Longtemps, le théâtre ne se souciait pas de savoir si la médecine pouvait ajouter quelque chose à la compréhension humaine. Comme si la science, liée au positivisme et au progrès, n’avait rien à dire de profond sur l’homme, réglant simplement des questions matérielles. Il y avait d’un côté le corps, de l’autre, l’esprit. D’un côté, la nature, de l’autre, la culture. Mais voilà que des techniques nouvelles sont apparues et renversent notre conception de ce qu’est l’homme. L’artificialisation des naissances, la fécondation in vitro, voire le clonage, font partie de ces techniques modernes qui assoient notre pouvoir sur ce que la nature avait encore d’impérieuse en nous : la reproduction. Dès lors, la question de l’identité devient de plus en plus problématique : la filiation se brise, l’origine se dissout dans l’anonymat du donneur, et la construction de soi semble bien périlleuse.
Les comédiens incarnent chacun leur tour un texte, une citation, une histoire. Témoignages d’enfants nés d’embryons congelés, de mères porteuses ou encore de donneurs de sperme anonymes se mêlent à des textes de loi ou discours officiels, ceux du pape et des institutions. Le spectacle aurait pu facilement donner lieu à un rapport faisant état des opinions sur le phénomène. Il propose en fait une échappée fantasmagorique sur l’artifice de notre société.
Et, en effet, tout paraît artificiel dans cette pièce. La scénographie, par exemple, est indépendante du thème traité (de l’aveu du scénographe, Nicky Rieti, elle permettait surtout de cacher l’« horrible mur de fond de scène»). Par ailleurs, il n’y a ni fable ni personnages bien définis. Quant aux comédiens, ils sont, hélas, en décalage avec leurs textes (notamment Pascal Ternisien qui surjoue l’incompréhension de sa propre parole) et, porteurs de micros, ils subissent aussi des déformations technologiques.
« Qu’est-ce qu’un père ? »
L’équipe de Jean-François Peyret imagine un spectacle tout à fait chaotique, faisant aussi bien appel au théâtre bouffon (le personnage du pape engrossé ou de la jeune femme habillée d’un costume de princesse chantant « Qu’est-ce qu’un père ? ») qu’au théâtre contemporain visuel. À cet égard, les instants où nous sommes plongés au cœur de la jungle amazonienne grâce aux sons et couleurs projetées sur les cordes sont un délice. À cela s’ajoutent des textes bien peu poétiques (« 64 % des Français ont des enfants par devoir »), souvent anecdotiques (« Je veux un enfant, mais je ne veux pas coucher avec un homme »), mais parfois aussi philosophiques (« N’est-ce pas la nature de l’homme de ne pas en avoir ? »).
Et c’est dans ce chaos d’éléments théâtraux si divers que l’espace de rêverie du spectateur peut prendre place. La parole scientifique perd de son intelligibilité. Mais il naît autre chose : une déambulation dans un espace saturé de cordes, représentant d’un monde excédé par ces réseaux capables de tout lier – y compris une mère et l’enfant d’une autre. L’artifice du spectacle rend ainsi compte de l’artifice de notre monde.
En déconstruisant tout ce qui fait la matière des pièces classiques, en y ajoutant artificiellement burlesque, informations, témoignage, tragique, musique, mouvement, scénographie saturée, sons, costumes loufoques, que reste-t-il ? La vie. Qu’elle soit donnée par deux corps qui s’aiment ou par une éprouvette en plastique. ¶
Lucile Féliers
Les Trois Coups
Ex vivo/In vitro, de Jean-François Peyret et Alain Prochiantz
Mise en scène : Jean-François Peyret
Assistante à la mise en scène : Julie Valero
Avec : Jacques Bonnaffé, Yvo Mentens, Pascal Ternisien, Anne-Laure Tondu
Création costumes : Chantal de la Coste
Scénographie : Nicky Rieti
Création lumière : Bruno Goubert
Dispositif électro-acoustique : Thierry Coduys et Jérôme Tuncer
Musique : Alexandros Markeas
Théâtre national de la Colline • 15, rue Malte-Brun • 75020 Paris
Site du théâtre : www.colline.fr
Réservations : 01 44 62 52 52
Du 17 novembre au 17 décembre 2011 à 21 heures, mardi à 19 heures, dimanche à 16 heures, relâche le lundi
Durée : 1 h 40
29 € | 24 € | 14 €
Tournée :
– Théâtre de la Criée-Marseille, les 5 et 6 avril 2012
– Théâtre de Caen, les 24 et 25 avril 2012
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