Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.
Giboulées intermittentes
Par Corinne François-Denève
Les Trois Coups.com
Depuis presque vingt ans, le festival « Renaissances » et ses spectacles envahit pour deux jours les rues de la dormeuse Bar‑le‑Duc : cette année, la mobilisation nationale a forcément marqué la manifestation, lui donnant des faux airs de Fête de « l’Humanité ».
Festival Renaisssances | © Corinne François-Denève
Le 4 juillet, la France avait les yeux braqués tantôt sur le match de foot, tantôt sur le Festival d’Avignon : gagneraient ? gagneraient pas ? Joueraient ? Joueraient pas ? Élimination, annulation… À 800 km d’Avignon débutait un autre festival, évidemment plus modeste et moins médiatisé : le festival Renaissances de Bar-le-Duc. Il se déroule dans les rues de la ville haute, ou dans quelques endroits de la ville basse, le premier week-end de juillet. Pour cette 17e édition, trente-deux compagnies étaient présentes, soit moins que les années précédentes, restrictions budgétaires obligent, et les intermittents étaient forcément sensibles à la cause nationale. Si Olivier Py voulait politiser son Festival, il en allait de même pour sa petite variante meusienne : placé sous l’égide de René Ier, duc de Bar, le festival articulait cette année sa thématique autour de la notion de « pouvoir » : « hommes de pouvoir », « instruments du pouvoir », « contre-pouvoir »… Pour sa dernière année à ce poste, Hocine Chabira, directeur artistique de la manifestation, ne pouvait pas tomber mieux. L’inauguration officielle, une première fois repoussée à cause du match de foot, était finalement annulée à l’issue du vote de l’A.G. : 95 % des artistes avaient voté la grève.
La France définitivement éliminée, le lendemain 5 juillet, le spectacle reprit, selon le désir des compagnies (sept étaient désormais en grève). Tandis qu’une manifestation se rendait à la préfecture, et aux locaux du P.S., repeints en rouge par les intermittents, décision avait été prise de ponctuer les représentations d’actions de sensibilisation à la cause. Ces actions, accueillies plutôt favorablement par un public qui affichait sa solidarité, avaient en effet le mérite d’être joliment pensées : une fanfare qui soudain devient silencieuse, l’équipe qui monte sur scène, tandis que les équilibristes, au-dessus d’eux, se figent ; une troupe bigarrée et nombreuse qui envahit le plateau, à la fin du dernier spectacle du soir, pour déclarer « l’art public », et se coucher, au coup de feu, pour figurer devant le public la mort annoncée de la culture ; des harangues, du haut des escabeaux qui venaient de servir à l’évocation de la vie du tribun Jaurès. Moins d’enthousiasme toutefois de la part des commerçants de la ville, victimes de la météo, de la crise, de la crise de la culture.
Le festival Renaissances est en effet, depuis 2009, un festival de rue et de cirque : il faut donc affronter, dans les petites rues du quartier Renaissance, les poussettes, les mal-aimables, les riverains irascibles, les lourdauds et les hordes d’ados, et surtout la météo, pour enchaîner, à un rythme soutenu, les spectacles, avec, de temps en temps, la grâce d’une pause à la buvette, ou d’une halte au stand « gastronomie Renaissance ».
Fanfares en coin, discours à la nation, grandes roues et percus
La pluie, la compagnie du Coin l’a affrontée avec une revigorante bonne humeur pour leur Espérance de Saint‑Coin – Auguste Fantasy, une création coproduite avec l’A.C.B., scène nationale de la ville. Baladant un énorme assemblage doré qui leur sert de portique de sécurité, de cadre, de porte de métro, les douze musiciens ont envahi l’espace du parvis de l’église Saint-Étienne pour proposer une exploration sonore du thème du « débordement » : pas un coin du parvis qui n’ait été battu par cette « fanfare », qui jouait de la musique, avec la musique, et surtout avec le public – les rafraîchissements sont même offerts à la fin.
Évoquant un pays imaginaire ravagé par la pluie et la guerre, le Discours à la nation d’Ascanio Celestini, du Théâtre de Liège, s’est pourtant joué sous un soleil timide. Dans ce « seul en scène », si l’on excepte la présence muette d’un musicien, Carmelo, que l’acteur David Murgia interpelle de temps à autre, Celestini s’est livré à un long monologue rhapsodique sur la dictature, parlant de Gramsci et de Swift, de revolver, de vergetures, et du Parti du chou. La politique sourdait à chaque point d’un discours philosophico-métaphysique drôle et subversif, aux limites du surréalisme, très belge. Une heure vingt sur le thème des dominés et des dominants, sur la façon de cuisiner les étrangers si encombrants, dans un discours fleuve plus qu’engagé. Dans une cour Tribel bondée, peu de défections devant cette leçon de politique, ou de morale, donnée par le voisin de Belgique, d’où émergeaient tant de résonances étranges à l’actualité française.
Le soir tombait, et l’on comprenait enfin à quoi servaient ces deux immenses roues montées devant l’église : le cirque Rouages présentait en avant-première Sodade, fable musicale et poétique sur le thème de l’exil. Quatre funambules qui s’avancent dans le ciel, qui escaladent les roues, qui dévident le fil sur lequel court la jolie danseuse, quatre corps qui s’accrochent à la roue pour tourner avec elle : la magie des ombres des acrobates sur les façades classées, dans la nuit qui les enveloppe.
Une petite heure de poésie, et on court au prochain rendez-vous, le dernier du soir avant la guinguette de minuit : le spectacle Très méchant(s) des Commandos Percu. De bruit et de fureur, disait Shakespeare. Quel spectacle, pour finir cette journée ! Des gladiateurs casqués, des métallos harnachés, qui tapent sur leurs terribles engins, à coups de batte, de perceuse… Et derrière eux, un feu d’artifice grandiose, une pyrotechnie impeccable qui a laissé les gens les plus blasés pantois.
Guinguette, Jaurès, et re-fanfare
Une courte nuit, surtout si on avait guinché à la guinguette, et, des feux d’artifice du 14‑Juillet, on passe directement au 31 : c’est Jaurès qu’on assassine, à 11 heures, le lendemain, dimanche 6 juillet. Cette fois, aucun spectacle n’est annulé : la compagnie Chicken Street adapte son Poilu à l’actualité du moment, le manège Titanos accepte enfin les enfants, et seule l’alerte orange oblige le cirque Grim à replier sa yourte. Sous une pluie battante, Rue Jean-Jaurès, le spectacle de la compagnie internationale Alligator fait revivre le leader socialiste, de sa… naissance à sa mort. Les comédiens incarnent successivement Jules Guesde, Louise Michel, Raoul Villain, Solages…, juchés sur des escabeaux, interpellant un public parfois surpris, opposant au hasard versaillais et fédérés, mineurs et gendarmes, se livrant à des parallèles souvent acrobatiques avec l’actualité. Le festival était donc bien ancré à gauche, cette année.
Un soleil ardent accompagnait un peu plus tard la déambulation musicale de La Chose publique, et de son spectacle O.G.M. (pour : Offre généreuse de mélodies) : quatre musiciens-clowns vêtus de blanc, héritiers de Tati, où il s’agit de traverser une route, sur un passage piéton, avant de s’effondrer de sommeil. Tristan Kruithof et sa « ScubaBianchi », une Autobianchi entièrement remplie d’eau, donc, dans laquelle nagent paisiblement quelques poissons rouges, venaient rafraîchir les idées de festivaliers désormais accablés de chaleur.
Puis vint la pluie et l’orage, et un temps de rencontre public-artistes. Pour le festival, une page se tourne : la direction artistique change, et, avec elle, sans doute, le festival lui-même. Rendez-vous l’année prochaine pour voir l’impact de la mobilisation des intermittents, de mémoire de Barisiens plus forte qu’en 2003. ¶
Corinne François-Denève
Renaissances, festival de rue et de cirque, Bar-le-Duc, du 4 au 6 juillet 2014
Direction artistique : Hocine Chabira (La Chose publique)
http://www.festivalrenaissances.com/renaissances/RENAISSANCES.html