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Feydeau éprouvette
Par Laura Plas
Les Trois Coups.com
Dans un étrange laboratoire théâtral, la compagnie Hocemo Théâtre revisite « Feu la mère de Madame » pour parler du couple. De l’idée, de l’énergie et de bons comédiens, mais la pièce de Feydeau ne convainc pas, et l’expérience part dans tous les sens.
Après avoir croqué les couples irréguliers dans ses grands vaudevilles, le Dindon, Un fil à la patte ou la Dame de chez Maxim, voici que Feydeau crée la surprise en 1908 en décrivant les affres d’un couple au bord de la rupture. Dans Feu la mère de Madame, le cadre spatial se rétrécit alors aux dimensions d’une chambre, la pièce à celles d’un acte. On rit mais jaune. Les contes de fées s’arrêtent bien à la porte du mariage… À bon entendeur, salut : qui cherche un vaudeville risque bien de tomber sur une farce ! On pense ainsi au Molière du Médecin malgré lui ou de la Jalousie du Barbouillé, par exemple.
Pas facile donc de s’emparer de ce texte qui, comme On purge Bébé ou Léonie est en avance, associe noirceur et trivialité. Pas facile non plus de mettre en scène une œuvre aussi courte. Or, la compagnie Hocemo s’y attaque avec du courage et des idées culottées. D’abord, elle intègre la farce dans une pièce-cadre. Deux scientifiques farfelus nous enferment en effet dans un obscur laboratoire (la salle d’un théâtre) pour faire des expériences au sujet de l’état amoureux. Brrr… La pièce de Feydeau est un des éléments de l’expérience, deux « spectateurs » en seront les cobayes.
Un tableau, des voiles de plastique et une cage métallique plantent le décor. Et comme l’expérience permet aux cobayes par un coup de baguette scientifique de connaître en un clin d’œil le texte de Feydeau, la même magie fait que l’on n’a pas besoin de voir une vraie chambre et un intérieur bourgeois. Même les célèbres portes qui claquent ont disparu. Belle idée qui repose sur les pouvoirs du théâtre.
Au sujet du théâtre, ce soir
D’ailleurs, on en viendrait presque à penser que ce Feu la mère de Madame est bien davantage une expérimentation théâtrale qu’une réflexion sur l’amour. Si on sort en se disant « Je ne sais même pas comment ça finit », on réfléchit. Si la machine semble à un moment s’emballer en conjuguant difficilement les trames des différentes fables, on pense cependant à toutes les pistes qui ont été explorées. Si le spectacle oscille entre adresse au public et enfermement derrière le quatrième mur, ce n’est peut-être pas un hasard. La compagnie ne manque sûrement pas d’idées ; au contraire, elle en dévoile peut-être trop. En tout cas, nos deux laborantins ont des airs de metteurs en scène. Les expériences menées sur Feydeau posent de vraies questions sur cet auteur épineux. L’invention de la C.U.B.E. (entendez Centrifugeuse universelle à bipolarité émotionnelle), dont les cobayes ne peuvent sortir sous peine de redevenir eux-mêmes, présente, quant à elle, une réflexion sur le quatrième mur et le paradoxe du comédien. En définitive, on a l’impression que la troupe a improvisé, mais n’a pas su sacrifier certaines bonnes idées à un projet d’ensemble.
Reste que le dialogue écrit par la compagnie est enlevé, qu’il est surtout porté par des comédiens qui campent des personnages attendrissants. Il y a la romantique volubile et le comptable coincé qui forment un couple très improbable. Ils sont interprétés par Claire Pouderoux et Damien Prévot, tous deux touchants et pleins de conviction. Il y a encore les deux professeurs Tournesol qui mènent l’expérience – Claire Quet aux inénarrables mimiques (très belle prestation) et Julien Large, tout en nuances. Le spectacle se clôt sur la diatribe de Géry Clappier à la fois déconcertant et touchant : en contre-pied de l’amertume de Feydeau.
C’est donc une drôle d’expérience que ce Feu la mère de Madame. À tenter si vous n’avez pas d’a priori. Pour la curiosité plus que pour Feydeau ou pour l’amour… À moins que ce ne soit un amour du théâtre. ¶
Laura Plas
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Feu la mère de Madame, d’après Georges Feydeau
Compagnie Hocemo Théâtre
Courriel : hocemotheatre@gmail.com
Mise en scène collective : compagnie Hocemo Théâtre
Avec : Géry Clappier, Julien Large, Claire Pouderoux, Damien Prévot, Lise Quet
Collaboration artistique : Florent Bresson
Création lumières : Julie Duquenoÿ
Scénographie, costumes : Alexandra Épée
Théâtre de Belleville • 94, rue du Faubourg-du-Temple • 75011 Paris
Métro : ligne 11, arrêt Goncourt ou Belleville
Réservations : 01 48 06 72 34
Site du théâtre : www.theatredebelleville.com
Courriel de réservation : reservations@theatredebelleville.com
Du mercredi 4 décembre 2013 au dimanche 2 février 2014, du mercredi au samedi à 21 h 30 et le dimanche à 17 heures (relâche les 8 décembre et 1er janvier)
Durée : 1 h 15
25 € | 15 € | 10 €