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Par Les Trois Coups
Pour le meilleur ou pour le pire ? Un mariage loupé
Par Laura Plas
Les Trois Coups.com
Compagnon de longue date du Théâtre du Rond-Point, Jean-Claude Grumberg y revient une première fois cette année avec une création, « H.H. », farce grinçante où l’on retrouve des motifs (l’antisémitisme, les errements de la démocratie, le rapport à l’histoire…) mais pas l’auteur. De fait, la farce ne prend pas à cause d’un mariage indigeste et peu dramatique.
« H.H. » | © Giovanni Cittadini Cesi
Un conseil municipal s’ouvre dans une petite ville de Bavière. Mais avant d’en venir à l’ordre du jour, le maire veut régler« une simple formalité » : un nouveau collège va être inauguré. Comme l’ancien conseil a déjà décidé d’inscrire au fronton de l’établissement le nom d’Heinrich Heine, et que les initiales du poète ont été fondues, il ne reste plus qu’à ratifier ce choix. Mais, dans ce Clochemerle bavarois où les élus aiment à se distinguer et à se mettre des bâtons dans les roues, rien n’est si simple. L’un deux en vient à proposer une alternative pour les initiales : Heinrich Himmler. Il va donc s’agir de comparer les mérites respectifs des deux H.H.
Le pire des salauds au même plan que l’un des plus grands poètes ? Grumberg met ici résolument les pieds dans le plat de la farce. Tout d’abord, les comédiens construisent des fantoches. Tous vêtus de kaki et de brun (comme si le passé les hantait à leur insu, leur collait à la peau), ils gesticulent et vocifèrent. Et cette gesticulation caricaturale apparaît d’autant plus que le décor, lui, est pesant : une table massive barre la scène, une croûte occupe le fond. Ensuite, ce décor lui-même fait signe vers la farce. Il y a la pompe à bière où l’on se sert à la fin de chaque saynète. Il y a surtout l’immonde chromo qui représente deux moutards blonds et joufflus en costume traditionnel retenus au bord de l’abîme par une vierge. À vomir de mièvrerie bigote, à frémir tant l’environnement de la forêt avec ses pins noirs peut évoquer des souvenirs effrayants.
La farce contre la bouillie
On grince d’autant plus des dents que tout en déformant et en grossissant le trait, la farce nous tend un miroir. Car ces élus vaguement interchangeables, rangés en rang d’oignons et changeant de place à la table, ces élus qui acceptent un débat inacceptable, baignent dans une bouillie idéologique qui n’est pas proprement bavaroise. On accorde bien la même Légion d’honneur à un résistant et à un crooneur, on fait d’un sportif incompétent un ministre. On se réclame dans des discours des valeurs, des figures tutélaires du parti le plus opposé. Tout est nivelé, rien ne dérange.
La farce se rit des formes, prend ce qu’elle veut et l’incorpore à sa sauce. C’est sur ce principe qu’est écrit H.H. Grumberg parle d’ailleurs de collage. Un poème de Heine succède ainsi aux ordres génocidaires d’Himmler : florilège sur un tas d’immondices. Et se pose alors inéluctablement la question suivante : comment la langue de Heine peut-elle être celle d’Himmler ? Comment Himmler, dont le père était professeur d’allemand et qui l’avait sans doute lu, a-t-il pu être une sommité du parti qui l’interdit ? Comment, en définitive, la civilisation la plus avancée peut-elle accoucher de monstres ?
De l’Allemagne, de Jean-Claude Grumberg
Ce qu’il y peut-être de plus intéressant dans H.H., c’est cette interrogation inquiète. Nous sommes tous au bord de l’abîme alors que nous ne le voyons pas. Dans le conseil, on répète sans cesse le mot « antidémocratique », on s’en gargarise comme du mot « respect », du mot « politesse », mais le vernis craque. Nous vivons aux pays des ânes satisfaits. Heine fut sans doute, Grumberg nous le rappelle, le plus francophile des auteurs allemands, mais dans H.H., Grumberg nous propose une sorte de « De l’Allemagne (et de l’Autriche) » angoissé.
Le problème est que la sauce ne prend plus dès lors que le metteur en scène-auteur délaisse la farce, voire le théâtre, pour nous laisser entendre les deux H.H. Ce n’est pas tant le choc de l’horrible et du sublime qui dérange. Nous avons vu qu’il posait de vraies questions. Il met, de plus, le spectateur dans une situation d’inconfort révélatrice. Faut-il rire ou être consterné ? Certains, indécis, s’en remettent à leurs voisins ; d’autres foudroient du regard les rieurs : humour noir qui reste en travers de la gorge. De toute façon, la farce joue de matériaux disparates et de l’incongruité. On se réjouit, par exemple, d’entendre des cris d’indignation, puis on s’épouvante en pouffant de voir que leur objet n’était pas celui qu’on croyait, mais une vétille.
Comme à la récitation
En fait, le problème de H.H. est, selon nous, plutôt dramaturgique. Quand la phase de comparaison des deux H.H. commence, les comédiens se transforment en lecteurs ou récitants, et le spectacle perd de sa verve et de sa force. On a parfois l’impression de se retrouver sur les bancs de l’école au moment de la récitation. Certes, Grumberg l’assume, l’exhibe même avec pupitres, éclairages et mise en scène, mais cela ne fonctionne pas. On décroche, on se met à entendre les grincements des fauteuils de ceux qui s’en vont. Peut-être ne peut-on faire théâtre de tout, et Grumberg veut-il nous mettre face à l’histoire sans artifices. On ne peut en tout cas faire théâtre d’aussi peu. Le spectateur sort bousculé peut-être, mais aussi déçu. À la recherche d’un Grumberg perdu ? ¶
Laura Plas
H.H., de Jean-Claude Grumberg
Éditions Actes Sud-Papier
Mise en scène : Jean-Claude Grumberg
Avec : Salima Boutebal, Jean-Paul Farré, Olga Grumberg, Joseph Menant, Christophe Vandevelde
Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin-Delano-Roosevelt • 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
Site du théâtre : www.theatredurondpoint.fr
Du 25 novembre au 24 décembre 2011 à 21 heures, dimanche à 15 h 30, relâche le 27 novembre 2011 et tous les lundis
Durée : 1 h 30
29 € | 25 € | 20 € | 16 € | 14 € | 10 €
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