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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

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« Huis clos », de Jean-Paul Sartre (critique), Espace 44 à Lyon

Enfer humain, trop humain


Par Émilie Boughanem

Les Trois Coups.com


Pendant deux semaines, le jeune collectif La Onzième a investi le plateau de l’Espace 44 pour une exploration de l’enfer sartrien. Un spectacle énergique qui martèle dans toutes leurs dimensions viscérales des apories philosophiques.

huis-clos-280 « L’enfer c’est les autres ». Ce fameux casse-tête pour classes de terminales constitue la clef de voûte de la pièce de Sartre. L’on a affaire ici à trois personnages : Garcin, Inès et Estelle. Ils ne se connaissent pas, ils se ressemblent peu. La vie de chacun a gravité autour de préoccupations différentes de celles des deux autres. Mais aujourd’hui, ils sont morts et se retrouvent en enfer, un enfer qui va à l’encontre de tout ce à quoi ils s’attendaient. Réunis dans un salon de type Second Empire, c’est en vain qu’ils guettent autour d’eux la présence d’instruments de torture. Il n’y a ni bûcher ni gril. Il n’y a pas non plus de bourreau. D’abord soulagés, ils réalisent vite la teneur terrifiante de leur situation : ils sont emprisonnés dans un lieu où il n’y a rien à faire ni à attendre. Et surtout, ils sont condamnés à partager leur éternité, à la vivre ensemble dans cet espace commun où la lumière ne s’éteint jamais et où le sommeil ne vient pas.

Ils cherchent à comprendre pourquoi ils ont été réunis tous les trois. Mais existe-t-il une raison ? N’est-ce pas ici seulement l’œuvre du hasard ? Les trois personnages s’interrogent mutuellement afin de se découvrir un point commun. Criminels, ils le sont forcément, sinon ils n’auraient rien à faire ici. Mais leurs crimes respectifs se recoupent-ils ? Leur est-il possible de trouver ensemble une réparation, ou du moins un salut ? Chaque hypothèse amène sa nouvelle inquiétude, et les tensions s’avivent tandis que les intimités volent en éclats. Dès lors, l’intrigue évolue selon une radicalisation toujours plus aiguë du rapport à autrui, radicalisation qui nous interroge quant aux réactions extrêmes auxquelles se trouverait réduit un individu entièrement livré à l’autre.

Or dans Huis clos, les personnages sont livrés aux autres corps et âmes, pour ainsi dire : le salon est saturé par la présence de chacun, et les pensées mêmes semblent interférer entre elles et peser dans l’air. De plus, les miroirs sont ôtés, il s’avère donc impossible d’avoir une image de soi sans questionner l’autre, sans se soumettre à l’objectivation de son regard. Cette interaction inévitable des personnages entre eux va les amener à déployer un raffinement de tortures psychologiques les uns envers les autres. Reste à savoir s’ils vont aller jusqu’au bout de la tentation d’entrer dans le rôle de bourreaux réciproques…

Une mise en espace sobre et efficace

La mise en scène d’une pièce philosophique est toujours une tâche ardue : il s’agit de rester dans l’expérience de la pensée en action ! Or le jeune metteur en scène Sven Narbonne compose remarquablement avec cette contrainte, et le jeu est assurément ancré dans le ressenti. L’angoisse métaphysique des personnages se livre sans intellectualisme, et nous saisit d’autant plus. On peut regretter cependant un parti pris quelque peu rigide en ce qui concerne la direction d’acteur du personnage d’Inès. En effet, la dureté d’Inès est poussée ici jusqu’aux limites de la caricature, ce qui crée un contraste entre le jeu d’Aurélie Chamfroy, et celui, plus nuancé, des deux autres comédiens. On saluera particulièrement la performance de Guillaume Col, remarquable dans son appropriation du personnage de Garcin, dont il incarne aussi bien les urgences que la révolte.

En ce qui concerne la scénographie, le choix est sobre mais efficace. L’état des lieux se dresse rapidement : une grande toile blanche qui s’étire du sol jusqu’aux cintres, et trois sièges, tout aussi blancs. L’exiguïté du plateau donne du relief à cette situation d’impossible répartition de l’espace, les comédiens piétinent, et l’on ressent le besoin de se dégourdir les jambes. Quant à la lumière, elle est pleine et s’abat sans nuance. Cet éclairage se révèle particulièrement pertinent dans la mesure où il traduit bien la nudité extrême dans laquelle se retrouvent les personnages. La moindre zone d’ombre est débusquée afin de dévoiler toujours plus l’individu qui ne pourra décidément pas se soustraire aux regards. Le travail de régie se révèle donc convaincant, à l’image de l’ensemble du spectacle. Et si l’on ne ressort pas avec le sentiment d’une redécouverte saisissante de Huis clos, cette reprise de la pièce laisse néanmoins une impression tout à fait positive. 

Émilie Boughanem


Huis clos, de Jean-Paul Sartre

Collectif La Onzième • 1, rue de Thou • 69001 Lyon

06 61 56 55 92

http://laonzieme.org/

contact@onzieme.org

Mise en scène : Sven Narbonne

Avec : Annabelle Faucon (le Garçon d’étage / le Souvenir), Guillaume Col, Aurélie Chamfroy (Inès), Clémentine Wert (Estelle), et la participation de Thibaud Vincent (le Souvenir)

Scénographie et création des lumières : Aurélia Gonthier

Espace 44 • 44, rue Burdeau • 69001 Lyon

http://www.espace44.com

Du 16 décembre au 22 décembre à 20 h 30, le dimanche à 16 heures

Durée : 1 h 20

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