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Par Les Trois Coups
Plus vite, plus haut, plus fort
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups.com
Dans le cadre de la Biennale de la danse, Les Célestins Théâtre de Lyon accueillent la sidérante création collective de la compagnie X.Y., intitulée « Il n’est pas encore minuit ». Une démonstration énergique de cirque acrobatique et de danse humoristique.
« Il n’est pas encore minuit » | © Christian Ganet
Lorsque la représentation commence, il est déjà passé minuit. Sur la scène vide et noire, à peine éclairée, s’avance un petit homme en tenue banale. Des projecteurs en douche et contre-jour sculptent l’espace, donnant l’illusion d’un grand cylindre sombre, sorte d’attraction foraine où l’on s’attend à la mise en mouvement d’une force centrifuge capable de projeter le corps du personnage solitaire sur ses parois. Mais non. Un deuxième homme entre. Cette nouvelle présence angoisse le premier arrivé. Peur de l’autre conjuguée avec le désarroi de la solitude. Puis soudain, tout explose. Un regard mal interprété, un contact vécu comme une agression, et une lutte volontairement maladroite commence. Cette séquence dégénère. D’autres protagonistes, tout aussi simplement vêtus, de provocations gestuelles en défis désordonnés, s’affrontent à leur tour en une rixe brouillonne et intense. Image de la violence instinctive des rapports sociaux, brutalité gratuite du désir d’être le plus fort. Absurdité du défi physique qui empêche toute écoute d’autrui.
Ainsi se trouve posé le postulat de base de ce spectacle. L’ennemi, c’est l’individualisme. La peste, c’est de faire paradoxalement sienne la devise des jeux Olympiques modernes : Plus vite, plus haut, plus fort. S’engage ensuite la volonté de former un groupe, et d’émouvants moments s’organisent. Des corps emmêlés, informe magma, s’épuisent à construire une pyramide humaine, plusieurs fois écroulée, pour inventer l’architecture d’un groupe solidaire. Quelques escarmouches plus tard, la tension s’apaise et les vingt‑deux acrobates trouvent une respiration commune, qui s’incarne dans une danse décontractée et chaleureuse, inspirée du lindy-hop, ancêtre du rock swing et acrobatique pratiqué à Harlem dans les années vingt. Cette pause fragile et heureuse indique qu’à plusieurs l’entente est possible. En un peu plus d’un quart d’heure, le beau propos du spectacle est bouclé. Le travail est impeccablement réalisé, le message parfaitement compris. Minuit pourrait sonner et une radieuse aurore pourrait naître.
Démonstration de force
Ce qui suit, en dépit de quelques poétiques images de corps lovés dans de sensuelles positions ou dessinant un étonnant alphabet, malgré la reprise pimentée d’autodérision de chorégraphies délurées de lindy-hop, enferme le spectacle dans un étirement répétitif d’exploits acrobatiques. La virtuosité est certes exceptionnelle, mais la succession infernale des chutes, déviations, envols, sauts périlleux, flips-flaps et escalades finit par brouiller le regard et fatiguer l’attention. À une époque où la quête frénétique de la performance athlétique engorge la fréquentation des gymnases, le doute s’installe sur le risque que le contenu de cette création soit terni par la valorisation excessive de l’engagement physique présenté comme un socle essentiel de la solidarité sociale. L’exaltation du muscle pose quand même question.
Chapeau bas, toutefois
Indiscutablement, il n’est pas encore minuit enthousiasme la majorité de ses spectateurs de toutes générations. Et pour ceux qui connaissent les « castells » de Catalogne, ces tours humaines érigées lors des fêtes locales, un frisson supplémentaire de plaisir peut naître. Indiscutablement aussi, la joyeuse décontraction des moments chorégraphiques peut rappeler heureusement des souvenirs agréables à ceux qui auraient vu à Broadway ou au cinéma la célébrissime comédie musicale Chorus Line. Indiscutablement encore, les prouesses acrobatiques exécutées à parité par les interprètes, quel que soit leur sexe, peuvent donner aux spectatrices un sentiment de légitime fierté. Indiscutablement enfin, l’idée qu’on ne construit pas du lien dans une société sans dépasser ses peurs, ses limites physiques et son égoïsme mérite le respect. La compagnie X.Y. dans son travail quotidien a fait sienne la devise suivante : Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin. Didactique mais malin. Debout, la salle ovationne la compagnie. ¶
Michel Dieuaide
Il n’est pas encore minuit
Création collective
Avec : Abdeliazide Senhadji, Amaia Valle, Andres Somoza, Airelle Caen, Alice Noel, Ann‑Katrin Jomot, Antoine Thirion, Aurore Liotard, Charlie Vergnaud, David Badia Hernandez, David Coll Povedano, Denis Dulon, Evertjan Mercier, Guillaume Sendron, Gwendal Beylier, Jérôme Hugo, Mohamed Bouseta, Romain Guimard, Thomas Samacoits, Thibaut Berthias, Xavier Lavabre, Zinzi Oegema
Collaborations artistiques : Loïc Touzé, Valentin Mussou, David Gubitsch
Collaboration acrobatique : Nordine Allal
Création lumière : Vincent Millet
Création costumes : Nadia Léon
Directeurs de production : Peggy Donck et Antoine Billaud
Production : compagnie X.Y.
Coproductions : Biennale de la danse de Lyon, Cirque Théâtre d’Elbeuf (pôle national des arts du cirque - Basse-Normandie), scène nationale de Sénart, Circa pôle national des arts du cirque - Midi-Pyrénées
Avec la participation exceptionnelle de la région Rhône-Alpes
Célestins Théâtre de Lyon • place des Célestins • 69002 Lyon
Tél. 04 72 77 40 00
Représentations du 12 au 18 septembre 2014 à 20 h 30
Durée : 1 heure
Plein tarif de 29 € à 10 €, tarif réduit de 26 € à 7 €
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