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Par Les Trois Coups
Entre amour et violence
Par Aline Bartoli
Les Trois Coups.com
« Jeux divins » revisite les mythes grecs d’Œdipe, Phèdre et Médée en alternant textes classiques (Euripide et Sénèque) et textes contemporains (Cocteau, Sarah Kane, Dea Loher et Dimitri Dimitriadis), sous la forme de deux actes, « l’Expérience Phèdre » et « l’Expérience Médée ». Le mélange des genres dépoussière avec brio la tragédie grecque, un exercice complexe et maîtrisé qui s’inscrit dans le parcours pédagogique des élèves de deuxième année de l’école du Studio d’Asnières-sur-Seine.
« Jeux divins » | © Miliana Bidault
La Phèdre de Sarah Kane a une fille, Strophe, qui a été violée par Thésée et qui entretient une relation sexuelle avec Hippolyte. Hippolyte est dépressif et a une blennorragie tandis que Phèdre l’aime au point qu’elle serait capable de le violer. La Médée de Dea Loher déambule dans les rues de New York, bien décidée à reconquérir Jason qui l’a abandonnée pour une autre.
Quand la beauté des textes classiques heurte de plein fouet la violence de l’écriture et de la mise en scène de notre époque, il se crée une sorte d’alchimie déconcertante. Un choc esthétique dans l’interprétation qui se trouve décapée de tout conformisme, mais aussi un choc dans le propos : on se rend compte que les deux styles se marient parfaitement et parlent de la même chose, de l’amour et de la violence, du malheur des hommes et de la fatalité, et que tout ceci est formidablement intemporel.
Une mise en scène métaphorique
La difficulté de ce genre de spectacle fondé sur une succession de textes est de trouver le fil conducteur entre chacune des scènes pour donner un sens à l’histoire. Celui-ci est judicieusement amené avec les personnages du Vertige des animaux avant l’abattage de Dimitri Dimitriadis, que l’on retrouve à la fois dans « l’Expérience Phèdre » et « l’Expérience Médée ». Sorte de scientifiques de laboratoire, ils assistent avec cynisme et froideur à la décadence des hommes, « à l’anéantissement mathématique d’un humain », telles des incarnations modernes des dieux grecs. Leur intervention récurrente pose des questions sans réponse : l’homme est-il uniquement la victime des dieux ? Ou au contraire, peut-on considérer qu’il est autonome et reste malgré tout maître de son destin et responsable de son propre malheur ?
Cette ambiguïté est cultivée par le nombre important de personnages figurants qui orientent manuellement les projecteurs sur les comédiens au fur et à mesure des tableaux. Il en ressort la sensation que la pièce se joue en vase clos, les comédiens eux-mêmes n’étant que les jouets de forces supérieures.
Un jeu engagé
L’énergie, la fraîcheur et l’impulsivité des comédiens donne une sacrée claque à la tragédie grecque. Le jeu est physique, franc, sans concessions. Il est bien loin le stéréotype des tirades poussives et larmoyantes, de la rythmique entêtante des vers et des costumes drapés. Les corps se tordent, se déchirent, s’aiment, s’entretuent, sous fond de guitare électrique. Le Sphinx de Cocteau hypnotise Œdipe avec des lunettes de soleil tout en le chevauchant, les Phèdre et Médée successives portent des talons hauts, des blousons en cuir, des rouges à lèvres pétants et n’hésitent pas à simuler la fellation. Les textes classiques se prêtent parfaitement à cette gestuelle « trash », à tel point qu’on ne distingue plus par moments si l’auteur est un contemporain ou non.
La justesse du jeu et l’engagement osé des comédiens sont d’autant plus appréciables compte tenu de leur jeune âge (la vingtaine en moyenne). Enfin, techniquement, on reconnaît les points forts dont se réclame l’école du Studio : les voix sont parfaitement posées (les voix féminines sont particulièrement belles, claires et graves), et les corps se meuvent avec aisance, souplesse et délice. La relève est assurément présente, et nous, nous sommes conquis. ¶
Aline Bartoli
Jeux divins, textes d’Euripide, Sénèque, Cocteau, Sarah Kane, Dea Loher, Dimitri Dimitriadis
École du Studio • 3, rue Edmond-Fantin • 92600 Asnières-sur-Seine
01 47 90 95 33
Atelier dirigé par Jean-Louis Martin-Barbaz
Assistants à la mise en scène : Gregor Daronian, Simon Labarrière, Margaux Le Mignan
Avec : Marianna Granci, Maxime Coggio, Simon Labarrière, Charles Leplomb, Flora Balbo, Lisa Torres, Margaux Le Mignan, Hélène Schweitzer, Lou Pantchenko, Malya Roman, Gregor Daronian, Arnaud Vrech, Laurie Gobert, Laurent Prache, Clément Chébli, Hadrien Peters, Laure Berend, Mathieu Barché, Clovis Guerrin, Quitterie de Blignières, Clément Durand, Morgane Pisoni
Musique : Charles Leplomb, Clément Durand
Lumières : Charlotte Montoriol
Studio-Théâtre • 3, rue Edmond-Fantin • 92600 Asnières-sur-Seine
Site du théâtre : www.studio-asnieres.com
Réservations : 01 47 90 95 33
Du 17 au 19 février 2012 à 20 h 30, dimanche à 15 h 30
Durée : 3 h 15
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